1: Le corps

Chapitre 1 Le corps



Comment définir le corps dans son appartenance ambiguë au réel et à l’imaginaire ?


Le corps est un ensemble relationnel qui prend appui sur une « relation à l’autre ». Paraphrasant D.W. Winnicott, on pourrait affirmer que le corps tout seul n’existe pas. Paraphrasant S. Freud, on pourrait dire que le corps se voit comme « autre objet » alors qu’il est partie prenante de la psyché.


De la même manière, le corps se voit dans un espace et un temps qu’il a lui-même constitué : temps subjectif (imaginaire) qui coïncide imparfaitement avec le temps de l’horloge (temps réel).


La notion même de corps par sa multiplicité rend difficile voire impossible sa définition. Relationnel, le corps est tout à la fois érotique, émotionnel, socioculturel, pulsionnel, sexuel, fantasmatique, biologique, psychique, somatique, sensoriel. Les problématiques du corps sont multiréférentielles.


Afin d’en construire un modèle de compréhension, il nous est nécessaire de parler des origines, des hypothèses que nous sommes en mesure d’élaborer pour tenter de définir le corps dans une dimension évolutive, un devenir.


Tout comme le moi, le corps s’évalue progressivement par rapport à un non moi-corps : « Le moi est avant tout corporel. » S. Freud (1923).



Origines du corps


À l’origine, psyché et soma sont indifférenciés, tout comme mère-bébé. Le corps du bébé ne possède pas les limites qu’il va acquérir progressivement, ces limites se construisent au fil du temps, des échanges et de la maturation neurologique et biologique.


Des travaux récents décrivent les compétences qui doivent nous conduire à réinterpréter les conceptions anciennes de la corporéité. Ainsi, les travaux de P. Rochat (2006) nous permettent d’affirmer l’existence d’une conscience corporelle précoce. Dès les premières heures après sa naissance, le bébé peut distinguer une stimulation exogène d’une stimulation endogène. Le double toucher que le bébé exerce sur son corps lui permet de distinguer le soi du non soi (le toucher simple équivaut à un toucher extéroceptif).


Les travaux de D. Stern confirment cette capacité très précoce du bébé à se donner une conscience corporelle quasi immédiate. Il décrit l’observation de deux jumelles siamoises rattachées par le ventre. Opérées à trois mois, leur séparation peut se faire sans difficulté. Auparavant, D. Stern avait pu mettre en évidence l’observation première au cours de laquelle chacune des deux sœurs pouvait sucer les doigts de l’autre. Pouvait-on voir dans ce comportement une indifférenciation psychique ?


D. Stern (1985) a pu démontrer qu’il n’en était rien et que les deux enfants faisaient nettement la différence entre leurs doigts et ceux de l’autre. Leurs réactions étant différentes lorsque l’on retirait les doigts de l’autre de la bouche ou leurs propres doigts.


Bien avant cela, la proprioception se construit immédiatement et fait prendre conscience au bébé de son corps à travers sa fonctionnalité. Les fluctuations du corps du bébé aux prises avec les paires contrastées, immobilité et mouvement, silence et bruit, faim et satiété, douleur et plaisir, confort et inconfort, constituent des marqueurs sensibles et agissant sur l’environnement.


Le bébé prête attention d’abord à son propre corps, initié en cela par l’attitude de l’objet maternel dont la « préoccupation primaire » lui est entièrement consacrée. Dans un deuxième temps, il va prêter attention à l’environnement, au sens de D.W. Winnicott et à l’intentionnalité, à la pensée d’autrui dans un premier mouvement imitatif et identificatoire.


Simultanément, la dynamique affectivo-émotionnelle se met en branle et permet, par-delà la satisfaction des besoins du corps, l’accès à la satisfaction des besoins du moi. Notion essentielle dans la théorie de D.W. Winnicott qui transitionnalise l’étayage freudien des pulsions sexuelles sur les pulsions d’autoconservation. Ainsi que l’étayage lacanien du désir sur le besoin.


Si les besoins du moi ne sont pas satisfaits, la pulsion au lieu de se faire « désir », se fait « besoin » et le « manque » se fait vide psychique et corporel. Dans ce cas, la sexualité génitale se transforme en hypersexualité, elle devient besoin au lieu de désir. Les troubles alimentaires, les « dysorexies » s’inscrivent dans ce schéma dégradé. Le rôle joué par « l’autre » apparaît essentiel dans cette dynamique. L’autre est un double, le double est un même et il est aussi différent. L’accordage affectivo-émotionnel se déploie sur ce fond relationnel, il favorise l’écoute et la satisfaction des besoins du moi.

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May 4, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 1: Le corps

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