1: Justifications Théoriques et Bases de Réflexion

1 Justifications Théoriques et Bases de Réflexion



JUSTIFICATIONS THÉORIQUES ET BASES DE RÉFLEXION




Introduction


Les apprentissages moteurs dépendent de notions neurophysiologiques et organisationnelles qu’il faut connaître pour gagner du temps et de l’efficacité :










Ces éléments influencent l’acquisition de toutes les activités mettant en jeu la coordination ou l’équilibration des sujets sains : les habiletés fonctionnelles, professionnelles, sportives, ludiques, artistiques (fig. 1.1).



Ces facteurs sont tout aussi importants pour les patients présentant un problème neurologique (non seulement les ataxiques et les cérébelleux, mais aussi les autres patients).


La connaissance de la pathologie et de la neurophysiologie générale est nécessaire mais insuffisante pour construire la rééducation.


La méconnaissance des règles essentielles des processus d’apprentissage entraîne une perte de temps considérable dans la réinsertion de ces patients et un surcoût financier inutile.


L’étude des règles fondamentales de pédagogie gestuelle est donc indispensable aux thérapeutes. Les techniques et les principes développés dans ce livre reposent sur l’application des principales règles de l’apprentissage moteur à la rééducation.



IMPORTANCE DE LA QUANTITÉ DE PRATIQUE



La pratique centrée sur la tâche à accomplir


Le patient en situation de handicap doit devenir un véritable expert dans l’art d’utiliser son corps pour chaque activité fonctionnelle. C’est la raison pour laquelle il y a une hiérarchie des exercices.


Les exercices qui améliorent directement l’indépendance fonctionnelle des patients (périmètre de marche, transfert lit-fauteuil, escaliers, activités de la vie quotidienne, etc.) sont prioritaires et incontournables pour les cérébelleux et les ataxiques proprioceptifs.


La notion d’expertise est très importante : « Il existe un consensus autour de l’idée que pour devenir un expert, il faut plusieurs millions d’essais de pratique » (Bertch Jean, Apprentissages moteurs, PUF).


Exemple : les figures 1.2 et 1.3 a et b montrent un patient présentant des séquelles d’un accident vasculaire cérébelleux (numéro de dossier BW50).




Devenir un expert n’est pas impossible, mais cela demande un apprentissage sérieux, et une quantité de pratique suffisante. Selon Le Ny, tous les gestes quotidiens sont surappris, du fait qu’ils sont pratiqués de nombreuses fois, alors qu’ils sont parfaitement maîtrisés.



Qu’est-ce qu’un apprentissage sérieux ?


C’est avant tout un apprentissage centré sur la tâche à accomplir et non sur une activité différente. Un apprentissage sérieux suppose une « quantité de pratique ».





La quantité de pratique a une importance capitale pour les sujets sains. Par exemple :





La quantité de pratique est encore plus importante pour les patients.


Exemple : apprentissage sérieux de la marche avec déambulateur (fig. 1.4) et de l’habillage (fig. 1.5).





LA SPÉCIFICITÉ DE CHAQUE HABILETÉ MOTRICE


Dans la littérature, deux conceptions semblent s’opposer.



Exemple : la pratique de l’athlétisme permet d’apprendre facilement tous les sports.



Exemple : pour jouer au tennis à un bon niveau, il faut pratiquer cette activité.


L’entraînement sérieux au tennis ne peut pas être remplacé par l’athlétisme.


En fait, ces deux conceptions sont complémentaires.


Exemple : la figure 1.6 explique les activités à dominante motrice :






La figure 1.7 permet de comprendre que les activités dans lesquelles la sensibilité joue un rôle important, sont également concernées par cette hypothèse :







Le fait qu’il y ait un élément spécifique dans chaque habileté motrice ou sensorimotrice conforte la rééducation fonctionnelle des ataxiques et des cérébelleux.


Elle justifie également le traitement fonctionnel de nombreux autres patients de neurologie.


Les techniques fonctionnelles que nous préconisons dans cet ouvrage sont très simples, il s’agit d’apprendre à marcher en marchant, d’apprendre à s’habiller en s’habillant, etc.


Malgré cette simplicité elles permettent :




Les techniques de rééducation purement fonctionnelles permettent donc de gagner sur les deux plans.


Certaines techniques de rééducation visent uniquement à améliorer la coordination générale ; par exemple, les techniques de Frenkel, ou les diagonales de Kabat (voir lexique). Il s’agit d’un objectif à très long terme. En effet, les résultats concernant l’indépendance fonctionnelle du patient ne seront pas rapides, puisqu’il faut des mois et même des années pour améliorer la coordination générale de manière significative.


De plus, il n’est pas certain que ces exercices aient une influence positive sur les activités fonctionnelles du patient (voir lexique, concernant le transfert de l’entraînement).



Selon la théorie de l’information, encore appelée approche cognitive


Puisqu’il existe une part de spécificité, chaque activité fonctionnelle doit faire l’objet d’une quantité de pratique suffisante pour :







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Fig. 1.9 Apprentissage sensori-moteur et théorie de l’information.


Selon J. Paillard, l’action motrice nécessite deux types de mécanismes étroitement associés.



B. Les processus cognitifs

Ce sont les connaissances du sujet. Par exemple, il connaît les pistes de ski de sa station favorite, il sait localiser les difficultés (bosses, trous), les zones idéales pour la vitesse… Les représentations du monde extérieur proviennent du dialogue interne que le sujet entretient avec ses mémoires. Ce qui est symbolisé par une flèche qui se retourne sur elle-même. Ces processus sont contrôlés par un superviseur conscient qui permet la compréhension, l’évocation des souvenirs, et l’intention… Lorsque le geste est bien appris et automatisé, le compartiment sensorimoteur fonctionne presque seul, et l’attention du superviseur conscient peut se reporter ailleurs. Les valeurs psychologiques ont un impact sur la motricité du sujet par l’influence des motivations : le plaisir ou l’intérêt que l’on y trouve est important. On apprend mieux si l’on est motivé. Enfin, la motricité dépend aussi des valeurs biologiques : poids et taille de chaque membre, force musculaire, souplesse, pathologie…


La limite entre les deux processus (sensori-moteur et cognitif) est symbolisée par une ligne oblique en pointillés.


Les mémoires dispositionnelles concernent le stockage des programmes moteurs, sensoriels et sensori-moteurs. Elles permettent d’effectuer de plus en plus facilement les activités fonctionnelles, ludiques, sportives, artistiques ou autres. La localisation, la nature et le contenu de ces mémoires font l’objet de nombreuses hypothèses.


Les mémoires représentationnelles conservent les données symboliques, et en particulier les souvenirs verbaux et les émotions.




Selon la théorie des attracteurs, encore appelée théorie émergente ou écologique


Les notions de « programme moteur », de « traitement d’informations » par le système nerveux, de feed-back et de feed-forward sont remises en cause (Temprado, 1995). La comparaison du cerveau avec un ordinateur qui traite des informations n’est qu’une métaphore. Le cerveau est beaucoup plus complexe qu’un simple ordinateur, puisque chaque neurone est comparable à un ordinateur et qu’il existe plusieurs milliards de neurones interconnectés.


La spécificité de la théorie écologiste repose sur le fait que chaque apprentissage doit faire l’objet d’une quantité de pratique spécifique suffisante. Dextérité, habileté motrice et coordination « émergent » de la pratique par un mécanisme comparable à la sélection naturelle des espèces de Darwin.


Les actes réussis sont mémorisés alors que les gestes inutiles ou ratés sont éliminés. Il s’agit d’un apprentissage par essais-erreurs. Pour qu’une activité fonctionnelle ou ludique soit réalisée de plus en plus habilement, il faut une pratique suffisamment longue pour permettre une véritable « sélection naturelle » des gestes efficaces.


Les explications sont différentes dans chaque théorie, mais dans les deux cas :




L’ensemble de ces deux théories sur l’apprentissage repose sur l’amélioration des seules 4 composantes possibles dans la motricité humaine (fig. 1.11).







L’existence d’un élément spécifique dans toute habileté motrice a une importance capitale pour les sujets sains.






Cette règle de la spécificité de chaque apprentissage qui paraît évidente est pourtant souvent ignorée. Le fait qu’il existe un élément spécifique dans toute habileté motrice est encore plus important pour les patients.


Exemple : la spécificité des changements de positions


Les progrès lors des changements de positions dans l’eau ne peuvent en aucun cas se substituer au travail des changements de position à sec (fig. 1.12 et 1.13).




Exemple : la spécificité des déplacements


Lorsqu’on apprend à un cérébelleux à marcher dans une piscine, cela ne permet pas automatiquement de marcher à sec.




Exemple : la spécificité des déplacements (suite)


On ne peut pas apprendre à un patient à marcher en se tenant aux meubles de la maison (marche au cabotage côtier) en lui faisant faire les exercices consistant à porter plusieurs fois le talon sur le genou du côté opposé et l’index sur le nez (exercices préconisés par Frenkel) :



tandis que la marche avec appui manuel (fig. 1.15) intègre une coordination biomécanique, avec répartition des mises en charge très spécifiques et fonctionnelles (autonomie du patient).


Exemple : la spécificité des activités de la vie quotidienne


Il n’est pas possible d’apprendre à un patient à s’habiller en lui faisant faire des diagonales de Kabat, ou en lui faisant répéter le test doigt-nez.




Alors que l’habillage (fig. 1.16) intègre une coordination multi-segmentaire dans les 3 plans de l’espace, associée à une praxie spécialisée et culturelle.



Spécificité de chaque activité dans laquelle la sensibilité joue un rôle important


Puisqu’il existe une part de compétence spécifique à tout apprentissage sensoriel ou sensori-moteur (fig. 1.7), la reconnaissance d’objets insolites ou amusants ne peut en aucun cas se substituer à l’identification d’objets fonctionnels utilisés habituellement par un patient.


Exemple : main-courante de son fauteuil, joystick de son fauteuil électrique, clef, stylo, paquet de mouchoirs, fruits, couteau, fourchette, verre, assiette, casserole, peigne, brosse à dent, papier hygiénique, fermeture éclair, boutons, velcro, touches de l’ordinateur et de l’imprimante, souris ou « trackball », feuille de papier, téléphone…


La reconnaissance d’objets usuels est irremplaçable. Elle permet de recalibrer rapidement les « programmes sensitifs » ou « sensori-moteurs » spécifiques. Cette recalibration est indispensable pour une utilisation optimale de ces objets (fig. 1.17). Lorsque le temps consacré à la rééducation est limité, et que le patient est motivé, toute autre stratégie de rééducation (reconnaissance d’objets non-fonctionnels) ne serait pas professionnelle.






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Fig. 1.17. e Mettre un pull sans se faire aider, en fin de progression.


On effectue un apprentissage systématique de toutes les activités de la vie courante à sa portée. Par exemple : enlever son tricot (fig. 1.17e). Toute l’équipe médicale du centre de rééducation participe à cette réadaptation. Le patient luimême (qui est très volontaire) est encouragé à se prendre en charge.



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Fig. 1.17. g Enfiler ses chaussettes.


L’écriture est parfaitement lisible (fig. 1.17f), il peut enfiler ses chaussettes (fig. 1.17g), mais il ne peut pas boutonner de petits boutons.



Ce principe est valable pour tous les patients présentant des troubles sensitifs :




Elle s’applique aussi aux cérébelleux et à tous les patients de neurologie nécessitant une rééducation des habiletés sensorielles ou sensori-motrices.


Un exercice-test remarquablement sensible en fin de progression : reconnaître des pièces de monnaie. Par exemple : différencier une pièce de un euro d’une autre de deux euros. Cette activité a une spécificité culturelle : un Européen ne peut pas reconnaître des pièces américaines.


En fin de progression, et malgré un apprentissage spécifique, notre patient garde des troubles de sensibilité. Il peut reconnaître qu’il s’agit d’une pièce de monnaie, mais il est incapable de faire la distinction entre la pièce de un euro et celle de deux euros pourtant beaucoup plus grosse.


Grâce aux apprentissages sensitifs spécifiques, un sujet sain est capable de reconnaître un objet dès les premiers stimuli. Par exemple, il n’a pas besoin de palper longtemps dans sa poche ; il reconnaît tout de suite son portefeuille, son étui à lunettes, sa boîte de pastilles ou son couteau pliable…


C’est pour toutes ces raisons que les sussidi commercialisés pour la technique de Perfetti ne peuvent en aucun cas se substituer à la reconnaissance spécifique des objets usuels (voir dans le lexique la discussion sur l’intérêt des exercices de Perfetti pour les ataxiques et cérébelleux avec un exemple de sussidi).



May 16, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 1: Justifications Théoriques et Bases de Réflexion

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