1. Histoires

Chapitre 1. Histoires


La pédopsychiatrie de liaison a pour objet l’étude des troubles psychiques survenant chez des bébés, des enfants et des adolescents hospitalisés et suivis dans les services de pédiatrie. Discipline clinique, la pédopsychiatrie de liaison englobe également l’enseignement et la recherche.

Avant de développer les spécificités de la pédopsychiatrie de liaison en pédiatrie, un détour par la psychiatrie de liaison en médecine adulte s’impose.


La psychiatrie est liaison


D’une certaine manière, la psychiatrie de liaison n’est pas une discipline nouvelle.

Elle n’est pas non plus une «sur-spécialité» ou une «sous-spécialité» de la psychiatrie. Car la psychiatrie, dans son essence même, est liaison; et d’une certaine manière, elle «n’est que» liaison, dans la mesure où les sujets qui s’inscrivent dans le champ de ses préoccupations ont été historiquement rencontrés et ontologiquement abordés selon des modalités initialement autres que psychiatriques. La psychiatrie émerge donc d’autres champs avec lesquels elle entretient des liens dont la nature ne cesse d’être étudiée depuis leur découverte.

En effet, l’institution psychiatrique s’est, au départ, construite sur la base d’une politique visant à protéger, non pas les patients, mais la société, de personnes jugées dangereuses pour la communauté, même si cette nocivité était involontaire. Ainsi, cette démarche n’est au départ ni humaniste ni sanitaire, à l’instar du traitement d’autres franges de la population souffrant de pathologies telles la tuberculose ou la lèpre : sanatoriums et léproseries furent d’abord érigés dans le but d’isoler les patients du reste de la population, en vue de la protéger.

De l’isolement à l’enfermement, il n’y a qu’un pas, qui fut durablement franchi jusqu’au xixe siècle, qui, inspiré par la philosophie et l’humanisme des Lumières du siècle précédent, libéra peu à peu l’insensé de son statut d’individu dangereux pour l’envisager comme un sujet en danger. Le xxe siècle s’est inscrit dans le prolongement de cette évolution qui reste cependant fragile, la tentation et le réflexe sécuritaire demeurant toujours très présents.

Vers les années 1950, l’adjectif «institutionnel» est utilisé pour qualifier la mutation conceptuelle de la fonction de l’hôpital psychiatrique. Les termes de thérapie et de psychothérapie institutionnelles qualifient de nouvelles pratiques (Daumezon, Bonnafé, Sivadon, Tosquelles), où l’institution prend une valeur thérapeutique par la dynamique même de l’institution – précisément – d’un processus de soin.

L’institution psychiatrique s’est alors lentement démarquée de sa réputation d’«asile de fousAsile de fous», de lieu d’enfermement et d’isolement. C’est dans ce mouvement que deux références nouvelles, la psychanalyse et la sociologie, viennent enrichir la réflexion, trouvant leur prolongement concret à travers le développement de la «psychanalyse institutionnelle» – où l’institution de soins est considérée comme support du transfert – et de la sectorisation – qui institutionnalise une pratique de soins et de réadaptation dans une collectivité, le secteur étant constitué par une zone géo-démographique (Chanoit).

Se sont ainsi tissés, au fil du temps, des liens dynamiques entre différents champs (social, psychiatrique, psychanalytique…) et entre des termes (soignants et soignés, patients et familles, traitement et travail, hospitalisation et suivi ambulatoire, contraintes et liberté…) qui, au lieu de s’opposer, s’ajustent les uns aux autres, selon des modalités de liaison qui dessinent au quotidien les contours de cette nouvelle conception et de cette nouvelle pratique du soin psychique. Tous ces traits d’union montrent comment la psychiatrie s’étaye sur la base de liens étroits avec des champs, médicaux ou non, qui en tissent les contours. En ce sens, la psychiatrie est, par essence, de liaison.


La psychiatrie de liaison


Les liens avec la médecine sont cependant toujours restés plutôt distants, tant d’un point de vue géographique (séparation entre les hôpitaux généraux et hôpitaux psychiatriques) que fonctionnel (clivage ancien entre le soma et la psyché, entre le patient somatique et le malade psychiatrique).

Brièvement, nous pouvons situer les origines de la psychiatrie de liaison aux États-Unis, dans les années 1930 (Henry, 1929). Ce n’est cependant que dans les années 1950–1960 que les premiers services de consultation-liaison s’organisent en Amérique du Nord (Lipowski, 1969). La discipline est reconnue aux États-Unis et au Canada dans les années 1970 et quelques années plus tard en Europe.

Ainsi, ce n’est que dans les années 1980 que la psychiatrie de liaison connaît son essor, tant dans les pays anglo-saxons qu’en France… Et il faut attendre les années 1990 pour voir apparaître le premier rapport français complet consacré à la psychiatrie de liaison (Guillibert et al., 1990) et le premier manuel francophone de psychiatrie de liaison (Zumbrunnen, 1992).

La psychiatrie de liaison s’intéresse initialement à tous les troubles psychologiques et aux pathologies psychiatriques qui surviennent chez un sujet hospitalisé à l’hôpital général pour des raisons somatiques, en urgence ou non, ces troubles et ces pathologies étant liés directement ou non à la pathologie somatique (répercussions psychologiques de maladies somatiques graves, décompensation ou déclenchement d’une pathologie psychiatrique à l’occasion d’une maladie somatique, pathologie somatique chez un sujet psychiatrique, etc.).

Progressivement, la psychiatrie de liaison s’est s’intéressée à toutes les pathologies psychiatriques, sans substratum organique ou maladie somatique associée, chez des sujets admis et hospitalisés à l’hôpital général (nombreux troubles névrotiques, addictifs, thymiques…) car ne relevant pas d’une hospitalisation psychiatrique conventionnelle. La psychiatrie de liaison s’est d’autre part particulièrement orientée vers la prise en charge des urgences psychiatriques (pathologies de crise, suicidants…).

Parallèlement, un autre volet de la psychiatrie de liaison se développe; il concerne toute l’activité clinique s’adressant non plus aux patients, mais aux soignants (soutien aux équipes soignantes, groupes de parole…), et c’est en ce sens que la dénomination américaine de «consultation-liaison-psychiatry» est plus précise et complète, puisqu’elle intrique étroitement l’activité de consultation (auprès des enfants) et celle de liaison (auprès des équipes). Nous avons donc affaire à «une forme particulière de l’expérience psychiatrique […], forme particulièrement jeune, active et attractive, dont la vitalité parfois surabondante et polymorphe se mesure à la dimension des enjeux qui s’y trouvent impliqués et qui concernent tous l’avenir de l’exercice psychiatrique public […]» (Garré, 1997). Son champ d’intervention se situe à l’interface de la psychiatrie et de la médecine somatique. Ainsi, la psychiatrie de liaison se distingue, à l’intérieur du courant de la psychiatrie générale du fait de son contact permanent avec la médecine somatique et de l’intérêt authentique qu’elle accorde à la dimension physique. De plus, grâce à ses racines ancrées dans la psychiatrie, elle se démarque des disciplines médicales par la prise en compte des aspects psychologiques et sociaux et par le souci de les intégrer aux données somatiques.


Psychologie médicale et psychosomatique


Psychologie médicalePsychosomatiqueLa psychologie médicale recouvre partiellement la psychiatrie de liaison. En effet, elle s’intéresse à tout ce qui, en médecine, «est de l’ordre de la psyché» (Jeammet et al., 1980), en particulier au «vécu de la maladie par le patient et [aux] répercussions de cette maladie sur son psychisme» (Gunn-Séchehaye, 1986), et surtout à la relation médecin-malade (Schneider, 1984). La psychologie médicale ne constitue donc qu’un des aspects de la psychiatrie de liaison.

De même, «si initialement, peut-être par stratégie, sans doute par la méconnaissance du travail à accomplir, l’activité de psychiatrie de liaison est placée sous la bannière psychosomatique, elle s’est rapidement dégagée de ces perspectives pour s’orienter vers des tâches diversifiées» (Lhuillier, 1994), conformément aux travaux de Lipowski. Ainsi, le courant psychosomatique, fortement teinté par la psychanalyse, ne constitue, là encore, qu’un des aspects de la psychiatrie de liaison.


Éléments d’histoire de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent


La psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent se fonde en France sur trois mouvements successifs : celui d’isoler, celui d’intégrer puis enfin, celui de comprendre et soigner.


Isoler


L’intérêt pour la santé mentale de l’enfant et de l’adolescent se développe, au départ, beaucoup plus sous la pression politique et sociale que sur des préoccupations réellement sanitaires et encore moins sur la notion de souffrance psychique. C’est en 1793 que la Convention déclare la protection de la santé comme devoir d’État. Celui-ci se résume longtemps à la seule gestion des hôpitaux, gestion davantage motivée par la mise à l’écart des enfants inadaptés (réputés dangereux ou pouvant le devenir) que par l’intérêt porté à leur fonctionnement mental et a fortiori à leur souffrance subjective.

Autrement dit, si à cette époque l’État est convoqué afin de légiférer sur la prise en charge des enfants réputés «anormaux», ce n’est pas du fait de leur psychopathologie souvent grave et lourdement symptomatique, mais du fait de leur inadaptation et de la délinquance à laquelle cette inadaptation expose. L’enfermement qui en résulte est alors à l’origine d’un isolement relationnel, source d’aggravation et de chronicisation de leurs troubles. Cette question de l’aliénation, considérée dès lors comme un véritable fléau social, convoque à nouveau l’État et la première législation sociale concerne, en 1838, les aliénés. Le concept d’«hygiène mentale» se développe alors, et l’intérêt pour l’hygiène mentale infantile va se porter, certes toujours sur l’isolement, mais également sur la rééducation, pour le bon équilibre social des enfants considérés comme potentiellement dangereux. Réputés arriérés, ces enfants étaient alors placés soit dans des familles, soit dans des colonies à partir de 1875.


Intégrer


L’obligation scolaire, au début du xxe siècle, puis sa prolongation jusqu’à 14 ans en 1936 et jusqu’à 16 ans en 1959, contribue à révéler un besoin, qui, parce que ce besoin est un besoin de masse impliquant de ce fait l’équilibre social, rend nécessaire et urgent que les instances politiques et sociales s’y intéressent. En 1909, une loi concernant les enfants en difficulté prévoit la création d’écoles et de classes de perfectionnement annexes aux écoles publiques. Les instituteurs signalent les enfants dits «arriérés». Dès 1916 sont institués des dispensaires d’hygiène sociale et de prévention antituberculeuse, et en 1936 est créé l’Office public d’hygiène sociale (OPHS), qui a vocation à organiser, à l’échelon des départements, la lutte contre les handicaps sociaux. Les circulaires des différents ministères du Front populaire élargissent ensuite les compétences de l’OPHS à la protection maternelle et infantile (PMI), à l’assistance aux enfants dits «anormaux» et à l’hygiène mentale générale. Une circulaire de 1938 stipule que «des consultations de neuropsychiatrie infantile […] collaborent avec la santé scolaire et bénéficient du concours de membres de l’enseignement». Des consultations débutent ainsi, dès 1935 à Montpellier, Nancy et à Paris, avec l’appui de G. Heuyer et de médecins des hôpitaux psychiatriques. Cette place faite aux psychiatres d’enfants et d’adolescents, dans des années de très fort tourment social, leur a sans doute permis, d’une part, de faire entendre leurs voix au sein d’institutions qui au départ fonctionnaient sans eux, mais, d’autre part (et à l’inverse), de réfléchir à des problématiques qui jusqu’alors leur avaient «échappé», par la force des choses…


Comprendre et soigner


C’est ainsi que durant la première moitié du xxe siècle, les travaux des pédiatres, des psychologues et des psychanalystes d’enfants mettent en relation certaines pathologies mentales avec les séparations précoces et prolongées (Spitz, Aubry, Robertson…). L. Kanner décrit l’autisme (1943) et fait évoluer le regard sur les enfants «arriérés». Les avancées de la psychothérapie institutionnelle, étayées en particulier par les apports de la réflexion psychanalytique, montrent l’intérêt de temps de soins diversifiés et ouverts. Dans cette mouvance, la création d’hôpitaux de jours (Lebovici, Soulé, Diatkine) confirme que le traitement de certains enfants présentant des troubles graves est possible sans hospitalisation ni placement au long cours.

Les circulaires organisant la sectorisation de la psychiatrie infanto-juvénile ne verront le jour que plusieurs années après la circulaire du 15 mars 1960 instituant les secteurs de psychiatrie générale. La reconnaissance universitaire de la discipline ne viendra qu’en 1975.

Comment, dans ce contexte d’émergence d’une discipline – la pédopsychiatrie – aujourd’hui considérée comme une discipline «à part entière», ne pas rappeler qu’elle s’est individualisée sur un socle pluriel qui l’a secondairement fait émerger comme discipline capable de penser cette pluralité comme un ensemble cohérent? La pédopsychiatrie ne s’est donc pas «auto-engendrée» ou «autoproclamée» selon une sorte de logique interne isolée du reste, mais au contraire construite sur la base de liens peu à peu tissés avec une réalité sociale, économique, politique, éducative, pédagogique et sanitaire, tout en profitant des avancées considérables du courant psychanalytique mondial de l’époque. L’histoire de la pédopsychiatrie en fait ainsi par essence une discipline de liaison, dont la complémentarité avec les différentes approches précitées se retrouve aujourd’hui sur le terrain quotidien du travail avec les enfants et les adolescents, qu’ils soient rencontrés en milieu scolaire, éducatif, pédopsychiatrique ou pédiatrique.

Cependant, dans ce cadre conceptuel et dans ce mouvement d’ouverture de la pédopsychiatrie, il faut bien noter que ses liens avec la pédiatrie sont toujours restés plutôt frileux et distants. Ce n’est que depuis quelques décennies que ces liens se nouent, sous le terme de ce qu’il est convenu d’appeler la pédopsychiatrie de liaison.


Du côté de la pédiatrie et de l’intérêt de certains pédiatres pour la psyché


Dans l’après-guerre, certains pédiatres se sont très tôt intéressés au vécu psychique des enfants malades. C’est notamment le cas de P. Royer qui, en 1965, sollicite G. Raimbault dans son service de néphropédiatrie à l’hôpital Necker – Enfants-malades (Paris). Pendant ce temps, Fr. Dolto développe ses consultations à l’hôpital pédiatrique Trousseau (Paris). On sait l’importance des travaux qui en découlent. Rapidement donc, pédiatres et pédopsychiatres travaillent de concert. Des travaux et des recherches cliniques vont apporter des éclaircissements dans la compréhension de certains domaines, dont les interactions précoces et la psychopathologie du nourrisson.

L’évolution de la pédiatrie au cours des cinquante dernières années est marquée par l’essor de technologies ultra-sophistiquées (développement de la génétique, diagnostic anténatal, nouvelles techniques de réanimation intensive, traitements lourds des maladies chroniques graves…) qui ont exposé le monde médical, d’une part, à des questions éthiques fondamentales sur le sens du soin et, d’autre part, à des prises en charge au long cours qui ont fait de certains jeunes patients de véritables «enfants de la médecine», voire des hôpitaux (certains enfants allant jusqu’à y passer le plus clair de leur temps), dont il a bien fallu se préoccuper, non seulement d’un point de vue somatique mais également au niveau de la construction psychique dans un tel contexte de dépendance aux soins. Le pédiatre s’est tourné vers le pédopsychiatre et l’intérêt du pédopsychiatre s’est en partie déplacé du «fait psychique» vers le «fait physique», les articulant l’un à l’autre en s’interrogeant sur les déterminants du bien-être ou du mal-être psychique chez ces enfants malades physiquement et sur les composantes psychologiques de la maladie somatique. Cette articulation entre psyché et soma a notamment ouvert l’aire de la médecine psychosomatique, initialement conceptualisée en France par Marty chez l’adulte et par Soulé et Kreisler chez l’enfant.

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Apr 22, 2017 | Posted by in PÉDIATRIE | Comments Off on 1. Histoires

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