1: Histoire des ultrasons en anesthésie

1 Histoire des ultrasons en anesthésie



Les ultrasons ont évolué, des bases physiques théoriques vers un outil de recherche, pour devenir aujourd’hui un précieux instrument de diagnostic, d’évaluation et d’optimisation des thérapeutiques. Le chemin a été long et l’essentiel est dû aux physiciens, aux ingénieurs en mécanique, en électronique et aux ingénieurs biomédicaux qui ont développé cette technologie.


La vitesse du son a été mesurée pour la première fois par Jean-Daniel Colladon en 1826, avec son expérience de la cloche sous-marine dans le lac de Genève [1]. La physique du son a été ensuite décrite par lord Rayleigh en 1877, dans son article : « The Theory of Sound » (la théorie du son). Lazzaro Spallanzani (1729–1799), prêtre et physiologiste italien, a cherché à expliquer la capacité des chauves-souris à évoluer dans l’obscurité. Il a démontré que les chauves-souris pouvaient se déplacer les yeux cachés, mais qu’elles butaient contre les obstacles lorsque leur bouche était couverte, ce qui l’a conduit à suggérer l’existence de sons inaudibles [2,3]. En 1880, Pierre et Jacques Curie ont décrit la transformation de l’énergie électrique en énergie mécanique par certains cristaux, l’effet piézoélectrique [4].


Le changement de siècle a vu arriver le développement du sonar. Les attentes autour de cette technologie ont considérablement augmenté après le naufrage du Titanic en 1912. Les radars ont suivi. Les années 1930 ont vu le développement des détecteurs par ultrasons des défauts du métal et cette technologie a été plus tard adaptée et utilisée par le monde médical. Initialement, les ultrasons ont été utilisés comme traitement ou « remède de charlatan », capable de tout traiter. Les deux décennies suivantes ont annoncé la découverte de nouveaux cristaux avec un meilleur rendement en production d’énergie par effet piézoélectrique.


George Ludwig a été crédité de la première description de l’utilisation des ultrasons comme outil diagnostique pour l’identification, in vitro, de lithiase biliaire sur des tissus animaux. Ses recherches reposaient sur des ultrasons en mode A (A pour « amplitude »). Son appareil a été, plus tard, commercialisé pour un usage en médecine et en biologie [58].


C’est dans les années 1950 que l’examen en mode B (B pour « brillance ») est devenu une réalité, permettant l’obtention d’images en deux dimensions. Douglass et Howry ont présenté un « pan-scanner » (figure 1.1) à une conférence de l’American Medical Association et ont reçu une récompense pour ce travail. L’appareil montrait de nombreuses limites ; par exemple, le patient était immergé dans l’eau et l’engin était bien loin d’être portable, mais il donnait des images précises et reproductibles des organes.



Le premier appareil portable était un appareil doté d’un bras articulé fabriqué par Holmes à l’université du Colorado, puis développé et commercialisé en 1962 par ses collègues Wright et Meyerdirk, formant la Physionics Engineering Inc. [911].


Les années 1960 ont vu l’explosion de la recherche sur les ultrasons : équipements utilisant l’imagerie en mode A et en mode B, dont le premier « fast B-scanner », le Vidoson™ de Siemens. Les spécialités comme l’obstétrique et la gynécologie, l’urologie, la chirurgie générale et la cardiologie étaient enthousiasmées à l’idée d’évaluer cette technologie dans leur domaine. Le premier congrès mondial sur l’échographie (World Congress on Ultrasonic Diagnostics in Medicine) s’est déroulé à Vienne en 1969 et le second à Rotterdam, en 1972, où un nombre croissant de communications a été présenté. Ces congrès ont permis de constituer un groupe international de cliniciens et de scientifiques qui ont activement contribué au développement de la technologie et de la méthodologie de l’échographie [1].


Barnett et Morley ont publié en 1974 Clinical Diagnostic Ultrasound (Diagnostic clinique par échographie), premier livre consacré à l’échographie abdominale en mode B. Le développement, dans les années 1970, de l’échographie en mode B vers l’échographie que nous connaissons actuellement a effectivement été déterminé par la technologie. La plus importante innovation dans l’imagerie par ultrasons, consécutive à l’invention du composé d’imagerie de contact, a été l’apparition du convertisseur d’image. Celui-ci, déposé sur le tube de rayon cathodique de faible résolution avec l’introduction d’un convertisseur d’image analogue, permettait de « lire » les faisceaux des ultrasons et d’afficher l’information sur un écran de télévision. Cette technologie est connue sous le nom d’« échelle de gris » (« gray scale ») [12,13].


Le progrès technologique suivant est apparu sous la forme du convertisseur d’image digital ; lentement, les progrès en microprocesseurs ont permis aux appareils d’échographie de devenir plus petits et à chaque étape du processus d’être numérisée. Les autres améliorations, dans les années 1990, ont vu l’augmentation du nombre de cristaux transducteurs 1 (ou canaux, de 64 à 128), l’amélioration dans la technologie des cristaux transducteurs (vers du haut débit et une gamme de haute dynamique), et l’augmentation de la gamme d’ouverture (plus de cristaux « tirant » dans une même unité de temps). Le résultat final est un appareil moins cher, portable et, plus important encore en anesthésie, offrant une bien meilleure résolution.


Les premiers anesthésistes à prendre conscience de l’intérêt potentiel de la technologie ultrasonore exerçaient l’anesthésie en cardiologie. Cette prise de conscience est née du besoin de disposer d’une évaluation plus précise du débit cardiaque peropératoire. Ils ont commencé en utilisant l’échocardiographie épicardique (c’est-à-dire en contact direct avec le cœur) [14,15]. Le moment décisif est survenu lorsque, sous la collaboration du Dr Yasu Oka et du Dr Masayuku Matsumoto, l’échographie transthoracique et le stéthoscope œsophagien ont été réunis [15]. Ils ont publié leur découverte dans le New York State Journal of Medicine. Depuis, c’est devenu un instrument essentiel pour les praticiens exerçant l’anesthésie en cardiologie.


Au cours des dernières années, l’échographie a été encore davantage embrassée par le monde de l’anesthésie. La visualisation de l’anatomie avant l’administration des agents anesthésiques a toujours été un objectif pour ceux qui pratiquent des anesthésies locorégionales. Le premier rapport de la visualisation de la diffusion en temps réel d’un anesthésique local par l’échographie a été publié en 1994 par Kapral et al. Ils ont décrit la réalisation échoguidée d’un bloc sus-claviculaire du plexus brachial [16].


Ce travail a potentiellement éliminé les plus sérieuses complications de ce geste, ne rapportant pas de lésion vasculaire, ni de lésion neurologique, ni de pneumothorax, et posant les fondations de l’utilisation en routine de l’anesthésie locorégionale échoguidée. Depuis cette publication originale [16], l’équipe de Vienne a rapporté plus de 4 000 procédures d’anesthésie locorégionale avec un taux de succès voisin de 100 % [17].


Presque chaque bloc, préalablement décrit, a été modifié pour permettre une visualisation directe, par échographie, de la diffusion de l’anesthésique local. L’équipement requis pour pratiquer l’anesthésie locorégionale échoguidée est devenu plus abordable et très largement disponible. Le principal facteur limitant le développement de cette « sous-spécialité » est désormais la disponibilité du personnel formé et entraîné ! Les avantages de cette technique sont nombreux : meilleur taux de succès, réalisation plus rapide du bloc, utilisation de plus faibles doses d’anesthésique local, plus grande satisfaction du patient [17] et, potentiellement, plus grande sécurité.


Les sondes linéaires à haute fréquence offrent de meilleures images des structures anatomiques qui intéressent les anesthésistes. Les aiguilles utilisées pour ces techniques étaient initialement des aiguilles de stimulation nerveuse. Utiliser la stimulation de nerfs périphériques optimise la courbe d’apprentissage. Des aiguilles de calibre supérieur avec une extrémité de type Hustead sont plus faciles à visualiser. L’industrie développe actuellement des aiguilles spécifiquement conçues pour l’anesthésie locorégionale échoguidée [18].


Une progression logique, à partir de l’anesthésie locorégionale échoguidée, est de faire de l’échographie un outil d’utilisation plus large en anesthésie. Ce chemin a déjà été suivi en obstétrique, en gynécologie et en cardiologie. En outre, l’augmentation de l’intérêt et de l’utilisation des ultrasons chez les anesthésistes doit contribuer à une meilleure compréhension de l’anatomie et du mode d’action de l’anesthésie nerveuse périphérique. Ceci devrait changer la vision de cette pratique… d’un art vers une science.


La place de l’échographie dans l’arsenal de l’imagerie doit contribuer à augmenter les capacités d’intervention clinique. Ceci se ressent dans les chapitres de cet ouvrage, qui abordent l’utilisation de l’échographie pour les abords vasculaires, les soins de réanimation et la prise en charge des douleurs chroniques. L’échographie comme outil quotidien arrive en anesthésie un peu plus tard que dans d’autres spécialité, mais… mieux vaut tard que jamais !



Références



1 Woo J. A short history of the developments of ultrasound in obstetrics and gynecology. 1999. Available at http://www.ob-ultra.sound.net/history.html


2 Griffin D.R., Galambos R. The sensory basis of obstacle avoidance by flying bats. J Exp Zool. 1941;86:481-506.


3 Hill C.R. Medical ultrasonics : An historical review. Br J Radiol. 1973;46:899-905.


4 Curie J., Curie P. Développement par pression de l’électricité polaire dans les cristaux hémièdres à faces inclinées. C R Acad Sci (Paris). 1880;91:294-295.


5 Ludwig G.D., Bolt R.H., Hueter T.F., Ballantine H.T. Factors influencing the use of ultrasound as a diagnostic aid. Trans Am Neurol Assoc. 1950;51:225-228.


6 Ludwig G.D., Ballantine H.T. Ultrasonic irradiation of nervous tissue, Surgical Forum, Clinical Congress of the American College of Surgeons. 1950:400.


7 Ludwig G.D. The velocity of sound through tissues and the acoustic impedance of tissues. J Acoust Soc Am. 1950;22:862-866.


8 Ludwig G.D., Struthers F.W. Detecting gallstones with ultrasonic echoes. Electronics. 1950;23:172-178.


9 Howry D.H. The ultrasonic visualization of soft tissue structures and disease processes. J Lab Clin Med. 1952;40:812-813.


10 Howry D.H., Bliss W.R. Ultrasonic visualization of soft tissue structures of the body. J Lab Clin Med. 1952;40:579-592.


11 Howry D.H. Development of an ultrasonic diagnostic instrument. Am J Phys Med. 1958;37:234.


12 Taylor K.J.W., McCready V.R. A clinical evaluation of gray scale ultrasonography. Br J Radiol. 1976;49:244-252.


13 Taylor K.J.W., Carpenter D.A., Hill C.R., McCready V.R. Gray scale ultrasound imaging. The anatomy and pathology of the liver. Radiology. 1976;119:415-423.


14 Oka Y. The evolution of intraoperative transesophageal echocardiography. Mt Sinai J Med. 2002;69:18-20.


15 Matsumoto M., Oka Y., Lin Y.T., et al. Transesophageal echocardiography for assessing ventricular performance. N Y State J Med. 1979;79:19-21.


16 Kapral S., Krafft P., Eibenberger K., et al. Ultrasound-guided supraclavicular approach for regional anesthesia of the brachial plexus. Anesth Analg. 1994;78:507-513.


17 Marhofer P., Greher M., Kapral S., et al. Ultrasound guidance in regional anaesthesia. Br J Anaesth. 2005;94(1):7-17.


18 Schafhalter-Zoppoth I., McCulloch C.E., Gray A.T. Ultrasound visibility of needles used for regional nerve block, an in vitro study. Reg Anesth Pain Med. 2004;29:480-488.

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Jun 24, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 1: Histoire des ultrasons en anesthésie

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