Examens complémentaires devant un genou douloureux de l’adulte
Diagnostic workup of a painful knee in the adult
Résumé
La diffusion de l’IRM et sa performance en matière d’exploration du genou, ne doivent pas faire négliger la pratique clinique élémentaire. L’interrogatoire et l’examen physique, associés à un bilan radiographique standard, systématique, permettent d’orienter vers l’une des trois grandes catégories que sont le genou mécanique, inflammatoire ou tumoral. La prescription d’autres examens ne doit pas être systématique, si elle ne modifie pas la conduite thérapeutique – parfois limitée à une simple surveillance – chez un patient bien informé. Des radiographies spécifiques (schuss après 50 ans, ou radiographies dynamiques dans la pathologie ligamentaire) permettent aussi souvent de se dispenser d’explorations onéreuses. À l’inverse, une douleur persistante, unilatérale, mal étiquetée, même d’horaire mécanique, même d’allure rotulienne, ne doit pas faire négliger la possibilité d’une lésion synoviale, tumorale ou d’une pathologie infectieuse fruste (maladie de Lyme, tuberculose, syphilis, arthrite réactionnelle, etc.) et doit conduire à la prescription d’examens complémentaires adaptés, au premier rang desquels, l’IRM. Parfois, lorsque l’IRM est muette, la scintigraphie permet de focaliser les investigations dans les genoux « mystérieux ».
Summary
The development and high performance of MRI in exploration of the knee should not result in overlooking clinical examination. Careful interview and examination, along with the systematic use of standard radiographs may determine three main diagnostic orientations : mechanical, inflammatory or tumorous conditions. Prescription of additionnal explorations should not be the rule, whenever it would not lead to a modification in the treatment plan – simple surveillance is sometimes all that is required – along with fair patient information. Specific radiographic views (schuss views in patients over 50 years of age, or stress films in ligament injuries) may be helpful, and may dispense with more sophisticated and costly examinations. On the other hand, when confronted with a constant, unilateral pain off ill-defined origin, even if apparently mechanical or even suggesting a patellar origin, the possibility of a synovial tumour, or a low-grade infectious condition (Lyme’s disease, tuberculosis, secondary artritis…) should not be overlooked. Under these circumstances, there is a need for additional specific explorations such as MRI. In the “mysterious knee”, with a negative MRI, a radioisotope bone scan may also be considered to guide further explorations.
Introduction
La pathologie du genou est au premier rang des motifs de consultation en orthopédie du fait de la variété des pathologies, qu’elles soient de nature traumatique, microtraumatique, dégénérative, inflammatoire, tumorale ou autre [11]. Le symptôme le plus souvent allégué est une douleur, tantôt typique, tantôt trompeuse par son expression ou son siège. Afin de sérier la question, nous n’envisagerons pas le genou de l’enfant, ainsi que les douleurs des genoux opérés.
Il n’est pas possible d’envisager la prescription d’un examen complémentaire sans un examen clinique complet préalable. Le recours à des examens complémentaires s’avère cependant presque toujours nécessaire, ne serait-ce que sous la forme d’un bilan radiologique minimum [56]. Si l’IRM s’est imposée comme un examen de référence dans de nombreuses circonstances, elle est encore trop souvent prescrite par excès, d’emblée, sans orientation clinique. Le choix de la séquence adaptée, l’opportunité de l’injection de produit de contraste intraveineux, l’orientation des coupes optimales, varie singulièrement selon la structure explorée et sera déterminée par le radiologue, à condition toutefois d’avoir été orienté par le prescripteur.
Le praticien doit conjuguer son obligation de moyens (pour ne pas dire de résultat), les exigences parfois fondées sur des informations mal comprises de son patient, tout en gardant à l’esprit les contraintes plus prégnantes que jamais relatives au coût de la santé [1]. Par ailleurs, dans un contexte de mise en cause d’un tiers ou d’un accident de travail, il est utile de pouvoir disposer d’éléments objectifs pour documenter l’observation.
Le but de cet exposé est d’évoquer les examens complémentaires (imagerie, examens fonctionnels ou biologiques) en indiquant brièvement leurs différentes modalités et leurs résultats. Il s’agit également de tenter de rationaliser et d’ordonner les indications des explorations complémentaires, en fonction des principaux tableaux cliniques tels qu’ils se rencontrent en consultation et en rappelant quelques pièges ou pathologies inhabituelles qu’il faut savoir évoquer (figure 1).
Bilan clinique et radiographique d’orientation
Orientation clinique
Sans détailler l’examen clinique, qui n’est pas l’objet de cet article, il ne paraît pas concevable d’envisager la prescription d’un examen complémentaire, sans avoir examiné le patient attentivement et avoir établi un minimum d’orientation diagnostique [13]. Dans le cas contraire, cela conduirait, comme on l’observe parfois, à prescrire une échographie du genou pour dépister un simple épanchement articulaire !
Bilan radiologique de référence
Quelles que soient les constatations de l’examen clinique, la réalisation de radiographies systématiques nous paraît de bonne pratique, ne serait-ce que pour ne pas ignorer une tumeur, voire un antécédent de fracture non toujours signalé par le patient, ou d’éviter de demander un arthroscanner pour explorer le cartilage, alors que les radiographies révèlent un pincement articulaire évident, par exemple [17].
Ce bilan standard comporte des radiographies de face et de profil en appui monopodal chaque fois que cela est possible, associées à une vue axiale des rotules à 30° de flexion. La qualité de la réalisation de la radiographie de profil s’apprécie à la superposition du contour des condyles postérieurs. Après 50 ans, des clichés en schuss comparatifs permettent de dépister un pincement articulaire souvent absent sur les clichés simples [37] (figures 2 à 4). Des clichés comparatifs, systématiques pour certains, doivent être prescrits en cas de doute sur une image suspecte.
Figure 2 Technique du cliché en schuss : appui bipodal et rayon postérieur, enfilant les plateaux tibiaux tangentiellement.
Figure 3 Cliché en appui monopodal montrant un morphotype en varus et l’absence de pincement articulaire.
Figure 4 Même patient que la figure 2. Notez le pincement complet du compartiment fémoro-tibial externe, en dépit de radiographies standard normales en appui monopodal.
Genou mécanique
Genou traumatique et post-traumatique
Tout traumatisme du genou doit faire pratiquer des radiographies, à quelques restrictions près, fondées sur les critères d’Ottawa en traumatologie courante [38].
Lésions ligamentaires
Le contexte est fortement évocateur et le diagnostic de laxité est essentiellement clinique. Rarement, les laxités se résument à une douleur, à la phase chronique, lorsque le traumatisme initial mineur ou négligé, n’a pas fait évoquer une lésion ligamentaire, parfois très ancienne et occultée par le patient. Une lésion méniscale et/ou chondrale, souvent associée au stade chronique, explique souvent la douleur [21].
Les radiographies systématiques en appui peuvent révéler un bâillement articulaire ou une translation sagittale (tibiale antérieure ou tibiale postérieure) tributaires du morphotype, de l’importance des lésions associées ou de la pente tibiale de profil [20]. Les radiographies peuvent surtout montrer des signes indirects sous la forme d’une avulsion ligamentaire à condition de les rechercher attentivement.
Les radiographies dynamiques, ou en stress, de profil, comparatives permettent de préciser l’importance et la nature de la laxité. La translation est mesurée par la distance entre tangente au bord postérieur du plateau tibial interne (ou externe), parallèle à la corticale postérieure du tibia, et le bord postérieur des condyles superposés (figure 5). La différentielle par rapport au genou sain est retenue [20]. On pourrait en rapprocher les appareils de laximétrie (tel que le KT 1000®). Elles sont le plus souvent demandées dans le cadre du bilan préopératoire et font l’objet de modalités variables, pour le LCA ou le LCP et selon les équipes chirurgicales [40]. Cependant, elles peuvent être pratiquées à titre diagnostic, en cas de doute dans les laxités frustes. On peut ainsi, en cas de test de Lachman de type arrêt dur retardé, différencier une translation antérieure modérée (rupture partielle, ou cicatrisation en nourrice), d’une translation postérieure. De même, des clichés en valgus/varus forcé comparatifs peuvent permettre de différencier une laxité vraie de la laxité de réduction d’une fracture tassement d’un compartiment du genou. En dehors du bâillement de l’interligne articulaire, une décoaptation, visible sous la forme d’une ombre aérique cernant les surfaces articulaires (vacuum sign) est parfois visible.
Figure 5 Cliché de profil dynamique (Lachman avec contrainte de 150 N) révélant une translation tibiale antérieure de 5 mm du compartiment fémoro-tibial interne.
La prépondérance de l’IRM dans le bilan des lésions ligamentaires n’est plus discutée en particulier pour l’exploration du pivot central (fiabilité de 90 % à 98 % pour le LCA et le LCP) [49, 52]. Le plan de coupe sagittal oblique, coïncidant avec le trajet anatomique du ligament exploré, ainsi que la combinaison de plusieurs séquences garantit cette performance diagnostique [63]. Ceci souligne l’importance de préciser la recherche d’une atteinte d’un ligament croisé lors de la rédaction de l’ordonnance. Même si elle n’est pas indispensable au diagnostic positif de la plupart des entorses du genou, elle devient particulièrement utile dans le cadre de manifestations cliniques se résumant à une douleur, c’est-à-dire dans une forme trompeuse ou laxité partielle. Les anomalies IRM traduisant la rupture du LCA sont maintenant bien documentée sous forme de signes directs et indirects [16] et sont résumées dans le tableau 1. Les lésions associées ont quelques spécificités. Les contusions (parfois les impactions) du condyle latéral ou bone bruises, avec parfois une image en miroir du rebord postérieur du plateau tibial externe, correspondent à des lésions de passage, spécifiques des ruptures du LCA. La classification en trois types de gravité croissante de Vellet va de la simple contusion trabéculaire à la fracture-impaction ostéo-chondrale [66]. Les lésions méniscales sont le plus souvent verticales et périphériques, parfois sous forme d’une désinsertion, à ne pas confondre avec l’hypersignal traduisant la richesse vasculaire de la périphérie méniscale (figure 6).
Tableau 1
Signes radiographiques et IRM du ligament croisé antérieur rompu
Radiographies | IRM Signes directs | IRM Signes indirects |
Avulsion de la surface préspinale | Hypersignal, suffusion (déstructuration) en aigu | Contusion du condyle latéral |
Encoche du condyle latéral | Solution de continuité | Détente du LCP |
Translation antérieure spontanée de profil en appui monopodal | Horizontalisation | Fracture de second |
Fracture de second | Échancrure vide (coupe frontale) | Lésion du ménisque externe |
Translation différentielle > 4 mm (clichés dynamiques) | Translation antérieure spontanée |
Figure 6 IRM montrant une contusion du plateau tibial externe (bone bruise) sous la forme d’un œdème du spongieux (hypersignal). Notez la lésion du ménisque externe associée et de la translation tibiale antérieure spontanée du compartiment externe.
Les lésions périphériques se manifestent sous la forme d’une image directe de solution de continuité, d’un épaississement et d’un hypersignal témoignant de l’œdème en regard de la lésion, d’une avulsion ostéopériostée, ou moins directement d’un hypersignal traduisant un œdème osseux, notamment de l’épicondyle interne dans les lésions du ligament collatéral médial (figure 7). Les incidences obliques, mais également transversales peu exploitées, sont très utiles pour analyser des lésions périphériques et notamment des points d’angles postérieurs [6, 8, 60, 66]. On pourrait en rapprocher les symptômes liés à une pathologie de l’articulation péronéo-tibiale supérieure, dont l’IRM permet de préciser la nature [30].
Figure 7 Entorse du ligament collatéral médial dans le cadre d’une rupture du LCA (triade antéro-interne). IRM montrant un hypersignal de l’insertion fémorale du ligament collatéral médial, associé à une rupture du LCA (échancrure vide).
L’indication à défaut d’être systématique, se justifie d’autant plus que le patient présente un flexum ou des blocages pouvant traduire l’interposition d’une languette méniscale, d’une exubérance fibreuse du LCA (syndrome du Cyclope) ou d’un capotage du LCA rompu dans l’échancrure ou « syndrome du battant de cloche » (figure 8), voire d’un corps étranger émanant d’une fracture ostéo-chondrale. La précision de la nature et du siège de lésions périphériques est également une indication, lorsqu’il s’agit d’un traumatisme grave.
Figure 8 Rupture en plein corps du LCA dont l’insertion tibiale rétractée dans l’échancrure est responsable d’un flexum.
Fractures occultes
Les fractures occultes sont soupçonnées devant une hémarthrose. Une fracture unicondylienne fémorale ou une fracture oblique d’un plateau tibial pourront être dépistées sur des radiographies de trois quarts. Elles seront au mieux analysées par un scanner spiralé avec reconstructions 2D analysant, le nombre de traits, leur trajet, les déplacements, mais surtout la congruence articulaire [23].
Les contusions osseuses sous-chondrales ont été bien mises en évidence avec la généralisation de l’IRM. Elles se caractérisent par un signal hypo-intense en T1 et hyperintense en T2. Localisées sur le condyle externe avec parfois une image en miroir sur le tibia dans les ruptures du LCA, elles peuvent aussi affecter le condyle interne après un choc direct ou un traumatisme appuyé en varus (figure 9). Il faut en rapprocher les contusions osseuses de la face latérale du condyle externe observées dans les luxations de la rotule et les contusions de la rotule par choc direct sur le genou.
Les fractures de fatigue ou de contrainte, ne sont pas toujours de diagnostic aisé et parfois difficiles à différencier des nécroses lorsqu’elles siègent au genou, dans un contexte de fragilité osseuse, c’est-à-dire chez des patients âgés ou ostéoporotiques. Les radiographies sont le plus souvent normales au début. À un stade ultérieur, apparaît une ligne claire sous-chondrale et/ou un aplanissement localisé du contour condylien. Apparaît ensuite un halo scléreux et un effondrement, puis à terme, un pincement articulaire. Un examen tomodensitométrique peut révéler un trait de fracture invisible sur les radios. Chez le patient jeune, elle traduit une hyperutilisation et affecte préférentiellement le plateau tibial interne [55]. L’IRM est très évocatrice, sous la forme d’une bande linéaire hypo-intense sur toutes les séquences, rehaussée par l’injection de gadolinium, au sein d’un œdème spongieux [44]. La scintigraphie montre les manifestations les plus précoces, sous la forme d’un hypersignal se prolongeant aux temps tardifs, mais elle n’est pas spécifique.
Lésions méniscales
L’IRM, plus particulièrement le recours à la séquence T2 en écho de gradient, est idéale pour détecter une lésion méniscale [59]. Ses performances (sensibilité 97 %, spécificité 98 %) permettent de se dispenser d’autres examens [49]. Le caractère pathologique se traduit par un signal linéaire intra-méniscal, communiquant avec l’articulation (figure 10), soit un stade III selon la classification de Stoller et Crues [62, 64].