Chapitre 1 Données récentes et acquises en implantologie
Les statistiques menées sur des cohortes de patients durant les deux dernières décennies font actuellement de l’implantologie un traitement classique pour la réhabilitation des sujets édentés partiels ou totaux [1, 2]. La littérature corrobore le bénéfice apporté par les implants, que ceux-ci soient mis en place dans le cadre de centres hospitaliers ou en pratique privée [3]. Le placement d’implants et leurs aboutissements prothétiques sont une alternative très performante face aux thérapeutiques usuelles avec des résultats esthétiques comparables [4].
Le principe de l’ostéo-intégration développé à partir des années 1970 [5, 6] explique le succès clinique obtenu avec les implants. Ce principe énonce la nécessité d’une période de cicatrisation osseuse autour des implants de quelques mois avant de les mettre en charge.
Plus récemment, des protocoles expérimentaux et des études cliniques témoignent de succès implantaires avec des périodes de cicatrisation osseuse plus courtes et une réalisation prothétique plus rapide et bénéfique pour le patient [7]. En effet, les études conduites sur les mises en charge immédiates ou précoces des implants démontrent qu’une mise en fonction prématurée des implants ne compromet pas leur ostéo-intégration [8–10] ; l’os péri-implantaire adapte son architecture à partir des charges transmises par les implants [11].
Le tissu osseux ne représente que l’un des facteurs concourant au succès des implants. La stabilité des tissus mous péri-implantaires, naguère négligée, concourt à préserver l’os crestal péri-implantaire, notamment avec les implants qui entrent dans le concept de switching platform pour lequel la géométrie de la connexion conique implantaire contribue à ralentir la perte de la hauteur crestale péri-implantaire, classiquement constatée au cours de la première année de mise en fonction des implants [12] (encadré 1.1, figures 1.1 à 1.3).
Encadré 1.1 Préserver l’os crestal péri-implantaire
Fig. 1.2 Contrôle radiologique à 3 ans de la reconstruction implantoportée : perte osseuse autour des premières spires des implants.
Avec un volume osseux insuffisant, la pose d’implants n’est plus envisageable ; la modification de l’architecture osseuse est inévitable pour créer un support mécanique destiné à favoriser l’ostéo-intégration des implants [13]. Le recours aux greffes osseuses pré-implantaires n’est pas de pratique récente, il obéit à des préceptes fondés sur l’assainissement et la vascularisation du site osseux receveur [14] ainsi que sur les conditions préliminaires à l’incorporation d’un greffon [15].
Lorsqu’il s’agit de corriger des défauts osseux limités, la biotechnologie associée à l’ingénierie tissulaire orientent les praticiens vers des interventions moins invasives par l’introduction de substituts osseux comme alternative à l’os autogène [16]. Également d’actualité, l’application de protéines ostéo-inductrices recombinantes (RhBMP-2) sur des déficits osseux induit une réparation du tissu lésé. Ces techniques faisant appel au génie génétique [17] ont un avenir prometteur.
Les praticiens confrontés aux avancées scientifiques, innovantes à bien des égards, sont de plus en plus contraints de coordonner leurs plans de traitement par un incontournable bilan préopératoire [18] dont les différentes étapes sont rappelées ci-dessous.
Un référentiel : le bilan préopératoire à visée implantaire
Le bilan préopératoire a essentiellement pour but de dépister les facteurs de risque, lesquels sont habituellement divisés en risques liés à l’état général du patient et en risques locaux, susceptibles de compromettre la réparation osseuse ou l’ostéo-intégration des implants [18].
Facteurs de risque liés à l’état général du patient
Évaluation médicale
L’interrogatoire et l’examen clinique restent l’une des obligations d’efficience pour dépister les patients vulnérables. Les greffes osseuses à visée implantaire et l’implantologie sont considérées comme des interventions invasives. Les pathologies chroniques ou aiguës pouvant interférer avec une intervention de chirurgie orale sont majoritairement recherchées dans les altérations et les risques suivants :
Classification ASA (Société américaine d’anesthésiologie) appréciant le niveau de risque des patients devant subir une intervention chirurgicale [31]
Avancées récentes
L’émergence de certaines affections systémiques associées ou non à des traitements médicamenteux interfère avec le processus d’intégration des greffes osseuses et des implants par leurs retentissements sur les tissus mous et durs de la cavité orale. Le bilan étiologique de ces affections, toujours guidé par l’interrogatoire et l’examen clinique, engage pour certains auteurs le pronostic des implants [32]. Le niveau actuel des connaissances met fin au décalage important entre pratiques obsolètes et recommandations récentes, notamment dans les aspects cliniques suivants.
Patients traités par biphosphonates
Les biphosphonates réduisent ou neutralisent l’activité de l’ostéoclaste. Lorsque leur concentration osseuse est importante, ils s’incorporent dans l’ostéoclaste en créant une apoptose cellulaire et, de ce fait, ils inhibent la résorption osseuse.
La mise en œuvre d’un traitement de fond aux biphosphonates est entreprise en premier lieu chez les patients atteints de tumeurs malignes affectant le tissu osseux, les myélomes, les métastases osseuses des cancers prostatiques ou pulmonaires [33]. Dans ces formes sévères tumorales, la voie d’administration des biphosphonates est intraveineuse et le risque d’ostéonécrose des maxillaires est majeur en raison de la concentration osseuse et de la demi-vie prolongée des biphosphonates [34, 35]. Dans le cadre des pathologies malignes pour lesquelles un traitement aux biphosphonates est associé, les greffes osseuses et les implants sont contre-indiqués [36].
Une prise en charge graduée des patients par biphosphonates, en dehors des pathologies tumorales, est usuelle dans les maladies de l’os. Dans l’ostéoporose, les biphosphonates sont prescrits majoritairement avec une voie d’administration orale et un dosage plus faible que dans un contexte tumoral, ce qui exclut pour certains auteurs un risque d’ostéonécrose des maxillaires et, de ce fait, ne contre-indique ni les greffes osseuses ni les implants [37, 38]. Pour autant, le risque de complication est encore méconnu et fait l’objet de controverses [39]. L’association de biphosphonates prescrits depuis plus de 3 ans avec une corticothérapie représente un facteur de risque d’ostéonécrose des maxillaires (encadré 1.2, figures 1.4 à 1.9).
Maladies du tractus gastro-intestinal
Des publications récentes commencent à clarifier l’impact des maladies du tractus gastro-intestinal sur la cavité orale et leurs incidences sur des complications ou des échecs implantaires [40, 41]. Dyspepsie, maladie du reflux gastro-œsophagien, gastrite, maladie ulcéreuse, maladie inflammatoire de l’intestin (maladie de Crohn), infection chronique du tractus gastro-intestinale, affection maligne de tout siège sont des mécanismes pathologiques largement connus mais avec un possible retentissement sur les tissus de la cavité orale guère rapporté dans les publications tel que :
Face à une maladie du tractus gastro-intestinal, il est prudent de reconnaître les symptômes classiques des affections spécifiques pour une prise en charge pluridisciplinaire du patient afin de prévenir des complications liées à un acte à visée implantaire tel que l’assainissement parodontal notamment (figure 1.10).
Infections virales
Virus de l’immunodéficience humaine (VIH)
Le virus de l’immunodéficience humaine est toujours responsable de 6500 contaminations annuelles. À partir de rares publications, quelques auteurs ont rapporté des complications suite à des interventions chirurgicales invasives (en chirurgie orale ou générale) [47, 48] chez des patients infectés par le VIH, ce qui doit inciter les praticiens à suivre attentivement les patients et à appliquer une antibiothérapie prophylactique en cas d’actes invasifs.
L’introduction de molécules antirétrovirales hautement actives rendant indétectable le VIH a considérablement réduit le risque de voir se développer des infections opportunistes et des lésions de la muqueuse buccale associées au VIH [49], en conférant aux patients un statut immunitaire stable.
Quelques récents articles [50, 51], confirmant notre expérience clinique, ne montrent aucune différence entre patients séronégatifs et patients séropositifs sous antirétroviraux à la suite d’un traitement à visée implantaire ou à la suite d’autres actes invasifs.
Virus de l’hépatite C (VHC)
Sur le plan général, une hépatite chronique virale C peut évoluer vers une cirrhose et un carcinome hépatocellulaire. Dans la cavité orale, la prévalence de patients atteints d’une hépatite chronique virale C et présentant des atteintes de la muqueuse orale avoisine les 96 % [52]. Ces lésions de la muqueuse orale (candidoses, leucokératoses notamment) contre-indiquent temporairement un acte pré-implantaire ou implantaire. Sans être exhaustif sur l’ensemble des complications locales ou générales attachées à un VHC chronique, des statistiques récentes mettent en évidence l’apparition ou le paroxysme d’un lichen plan buccal chez des patients traités pour un VHC chronique [53], compliquant ainsi une intervention implantaire ou la contre-indiquant dans la mesure où les cellules épithéliales altérées atteintes par le lichen plan n’adhèrent pas à la surface du titane [54].
Il est possible d’éradiquer définitivement le VHC grâce aux traitements actuels (interféron pégylé associé à la ribavérine) [55]. Le diagnostic précoce des patients asymptomatiques, par l’évaluation médicale des populations à risque, est stratégique pour organiser le parcours de soins (figure 1.11).
Maladies auto-immunes
À l’heure actuelle, le processus des maladies auto-immunes reste sommairement incompris. Outre les réponses inflammatoires avérées et retrouvées fréquemment dans le contexte clinique des affections auto-immunes (lupus érythémateux, polyarthrite rhumatoïde, etc.), la recherche s’oriente sur la présence et le rôle des anticorps antinucléaires dans les populations atteintes [56].
Effets du vieillissement
La longévité est un des facteurs qui influe sur les exigences des patients partiellement ou totalement édentés en faveur d’une thérapeutique implantoportée pour le remplacement de dents absentes [61]. Cela représente dans les années à venir un nouvel enjeu pour les prestataires de soins et de santé qui devront répondre par une stratégie thérapeutique très adaptée (la mise en charge immédiate des implants est l’une des éventualités de traitement pour privilégier des étapes opératoires courtes).
Il apparaît indispensable auprès de ces « nouveaux patients » avançant en âge [62] :
Facteurs de risques locaux
Tout acte chirurgical fait l’objet de précautions d’asepsie. Le risque infectieux exogène est une menace pour une greffe osseuse ou une mise en place d’implants si la méthodologie d’asepsie préparatoire à l’acte opératoire est négligée. Les avancées de nos techniques reconstructrices (comblement sinusien, greffon d’apposition, etc.) nécessitent d’adapter l’acte chirurgical pour écarter toute contamination du site (tableau 1.1).
Actes à réaliser dans une salle de soins adaptée | |
Actes à réaliser dans une salle de soins spécifique ou dans un bloc opératoire | – Régénération osseuse guidée avec os autogène en espaceur ou avec manipulation de plaquettes riches en fibrine |
Principes ergonomiques d’une salle de soins spécifique ou d’un bloc opératoire | |
Environnement d’une salle spécifique ou d’un bloc opératoire |
Infection du site à traiter
Un site infecté peut compliquer ou compromettre un acte chirurgical pré-implantaire ou implantaire. Les étiologies des infections d’un site sont parfaitement répertoriées et peuvent être invoquées, sans exhaustivité, par [63] :
Le site à traiter doit être débridé et largement désinfecté par une solution à base de povidone iodée ou de chlorhéxidine. Une régénération osseuse guidée est souvent un préalable nécessaire à une greffe osseuse étendue ou à une mise en place d’implants [64].
En préliminaire à une greffe osseuse, une régénération osseuse guidée ou une mise en place d’implants, la préparation parodontale de la cavité orale visant à limiter les agents bactériens pathogènes est fondamentale pour réduire le risque infectieux.
Les contre-indications conventionnelles conseillées face à une infection du site à traiter sont actuellement reconsidérées, notamment dans le but de réduire les étapes chirurgicales et d’aboutir à un résultat prothétique plus rapide pour le patient. Ce sont spécialement les cas cliniques où un implant est mis en place simultanément après extraction d’une dent dans un site infectieux [65]. Les signes cliniques peuvent être un(e) :
Une combinaison des signes précédents n’interdit pas la pose d’implants. Pour autant, les recommandations présentées dans la figure 1.13 sont essentielles à un résultat prévisible [66] (encadré 1.3).
Épaisseur des tissus mous
La présence d’un biotype tissulaire fin accroît le risque de récession des tissus mous autour des implants [67] et occasionne une difficulté de maintenance des implants [68]. En revanche, un biotype tissulaire épais garantit un espace biologique autour des implants [69] et parfait le résultat esthétique en masquant les composants prothétiques.
Ce sont des évidences cliniques qui encouragent à un éventuel épaississement des tissus mous en l’absence de gencive kératinisée, pour améliorer le pronostic des reconstructions implantaires, masquer un défaut horizontal circonscrit ou prévenir des complications lors de la réalisation d’une greffe osseuse (encadré 1.4, figures 1.20 à 1.22).