1 Aspect génétique
Introduction
Signalons que chaque étape sera envisagée selon le double point de vue :
1. du développement psychosexuel d’une part, orienté par l’entrée en jeu successive des différentes zones érogènes ;
2. de la relation d’objet (ou relation objectale) d’autre part, expressions désignant notamment les formes prises par la relation du sujet avec ses « objets » (lui-même compris en tant qu’objet) au cours de ces différents moments évolutifs.
Influences pré- et néonatales
Influences prénatales
Phyllis Greenacre pense que la constitution, les expériences prénatales et la situation suivant immédiatement la naissance contribuent à créer une prédisposition à l’ angoisse ou préangoisse, différente de l’angoisse ultérieure en ce qu’elle manque de contenu psychologique et opère au niveau réflexe.
Il est bien certain que le fœtus est capable d’une grande variété d’activités puisqu’il remue, donne des coups de pieds, se retourne… manifestations que toute femme enceinte attend même avec une certaine impatience. On sait aussi que le fœtus réagit à des stimuli extérieurs par des mouvements accrus, une accélération du rythme cardiaque… par exemple lorsqu’un son fort et aigu, une sonnette électrique… se fait entendre près de la mère. De même le fœtus présenterait un accroissement considérable d’activité lorsque la mère passe par des périodes de graves épreuves émotionnelles, ce qui prouverait que l’état psychophysiologique de la mère exerce une influence sur le type de comportement du fœtus normal. Enfin celui-ci pourrait même crier in utero si, par accident, de l’air a été admis dans la cavité utérine.
En résumé
Comment pourrions-nous, par exemple, décider si les angoisses d’un enfant de 4 ans sont dues au milieu chargé d’angoisse que constitue une mère malheureuse avant la naissance ou bien après ? Car il est impossible d’échapper au fait que la mère continue, après la naissance – et nous dirions même surtout à ce moment – à exercer une influence sur la personnalité de ses enfants.
Traumatisme de la naissance
Cette situation de la naissance devient le modèle ou prototype de toute angoisse ultérieure, dont le facteur commun s’énonce donc à l’origine en termes de séparation biologique d’avec la mère mais qui, par la suite, se manifeste de façon plus psychologique et plus symbolique.
O. Rank au contraire donna à cette théorie, qu’il systématisa avec excès, un développement qui éloigna son auteur des conceptions classiques de la psychanalyse. Celui-ci fait en effet jouer au traumatisme de la naissance un rôle central dans le développement de la personnalité au point que la naissance constitue un choc profond qui crée un réservoir d’angoisse dont les parties se déchargeront, se libéreront à travers toute l’existence. C’est dire que pour cet auteur toutes les névroses trouveront là leur explication originelle et que l’on peut interpréter toute angoisse ultérieure en termes d’angoisse de naissance, non seulement en tant que celle-ci constitue le modèle, mais la source même de l’angoisse.
Poussant encore plus loin sa conception, Rank en vient à déclarer que le nouveau-né forme des impressions visuelles durables de cette séparation pénible d’avec la mère, responsables notamment de l’horreur éprouvée plus tard pour les organes génitaux féminins, tandis que les séparations ultérieures de toute nature, réelles ou imaginaires, seront éprouvées comme un traumatisme menaçant : séparation du sein par le sevrage, séparation fantasmatique du pénis par la peur de la castration, etc.
Enfin, toujours selon O. Rank, chaque plaisir aurait pour but final d’accéder au sentiment de contentement sans mélange et de béatitude primitive intra-utérine, le moyen le plus satisfaisant pour réaliser ce retour à la vie intra-utérine étant l’acte sexuel, qui représente la réunion symbolique avec la mère : alors l’homme concevrait son pénis comme un enfant retournant dans le ventre de sa mère tandis que la femme accéderait à la satisfaction en s’identifiant à son propre enfant, au moment où il n’est pas encore né. Pour l’auteur, l’angoisse primaire de la naissance représente un obstacle à cette satisfaction, car elle constitue un signal de danger contre l’envie de retourner dans le sein maternel.
Quant à Phyllis Greenacre, elle occupe en ce domaine une position intermédiaire entre Freud et Rank. Elle admet l’action des deux facteurs, constitutionnels ou héréditaires et accidentels apparaissant au moment de la naissance, mais elle substitue sa théorie de la réponse de « préangoisse » à la conception de Rank relative aux impressions visuelles. Pour elle enfin, l’influence réelle du traumatisme de la naissance se situerait quelque part entre les deux conceptions : elle ne serait ni aussi importante que le pense Rank, ni aussi minime que le croient Freud et la plupart de ses successeurs.
Stades prégénitaux
Stade oral
Les différentes phases que nous décrivons ne sont pas nettement délimitées ou séparées les unes des autres. Tous ces stades passent plutôt graduellement l’un dans l’autre et se chevauchent. Ainsi le stade oral s’étend non seulement sur la première année de la vie de l’enfant, mais bien au-delà. Classiquement on donne ce nom de « stade oral » à la phase d’organisation libidinale qui va de la naissance au sevrage.
Développement psychosexuel
Indiquons d’abord que l’expression « sexualité infantile » n’est qu’une facilité de langage peu satisfaisante. En effet une telle « sexualité », si elle se présente en premier lieu comme très indifférenciée et fort peu organisée, diffère de plus de celle de l’adulte par trois points au moins :
les régions corporelles de plus grande sensibilité (ou sources pulsionnelles) ne sont pas forcément les régions génitales. D’autres zones érogènes (régions qui procurent du plaisir) viennent à prédominer ;
les buts sont différents : il va de soi que la « sexualité infantile » ne conduit pas à des relations génitales à proprement parler mais qu’elle comporte des activités qui, plus tard, joueront un rôle notamment dans le plaisir dit « préliminaire » ;
enfin cette « sexualité infantile » a tendance à être auto-érotique plutôt que dirigée sur des objets.
Primauté de la zone buccale comme zone érogène ou source corporelle pulsionnelle
En fait il faut entendre ici bien autre chose que simplement la bouche :
d’abord certes tout le carrefour aérodigestif jusqu’à l’œsophage et l’estomac ; organes respiratoires aussi, en jeu dans l’aspiration et l’expiration de l’air, jusqu’aux poumons (voir les fixations orales des asthmatiques par exemple) ;
les organes de la phonation et donc du langage ;
les organes des sens également : la gustation, le nez et l’olfaction, l’œil et la vision (on dit « manger ou dévorer quelqu’un des yeux ») sont des organes et des fonctions en rapport avec l’oralité, percevoir impliquant d’ailleurs une sorte de préhension et de mise à l’intérieur de soi d’éléments appartenant au monde extérieur environnant ;
le toucher et la peau elle-même appartiennent aussi au monde de l’oralité. Les gens qui ont toujours trop chaud ou trop froid, ceux qui présentent des dermatoses psychosomatiques, ou encore plus simplement ceux qui, dans les ébats amoureux, sont hypersensibles à des attouchements de régions cutanées parfois fort éloignées des zones génitales… ont tous une oralité très forte.
Objet original du désir
C’est l’objet disons « érotique », de ce nourrisson ; il est constitué par le sein maternel ou son substitut, la première expression de la libido étant l’action de téter. En effet, non seulement cet acte de téter satisfait le besoin de nourriture, mais encore il procure du plaisir en lui-même.
La séparation d’avec la mère au moment de la naissance instaure une nouvelle relation mère-enfant, relation dépendante et pratiquement symbiotique, fusionnelle, avec cependant un médiateur désormais : la fonction alimentaire ou nutritionnelle. À cette fonction est attaché un plaisir que l’enfant éprouve, apprend, au moment d’être nourri.
Et voilà que cette satisfaction libidinale, étayée, comme on dit, sur le besoin physiologique d’être nourri, va se séparer de celui-ci. L’enfant découvre que l’excitation de la bouche et des lèvres procure un plaisir en soi, même sans être accompagné de nourriture (suçotement des lèvres, succion du pouce).
Remarque
En fait la littérature contient de nombreuses références suggérant l’existence d’une pulsion à téter, qui opérerait indépendamment du processus de la nutrition. Autrement dit, à partir de certaines constatations – par exemple on sait maintenant que dès le stade intra-utérin le fœtus suce son pouce – on peut se demander s’il n’existe pas une pulsion orale primaire, qui n’aurait pas été acquise par l’apprentissage et qui serait à l’origine à la fois de la succion et d’autres manifestations voisines d’activité orale. Auquel cas du reste le problème de la genèse de cette pulsion orale primaire resterait entier.
But pulsionnel
À ce stade, il est double, peut-on dire :
d’une part, c’est la stimulation agréable de la zone érogène buccale, plaisir qui est auto-érotique. Le sujet n’a pas encore la notion d’un monde extérieur différencié de lui et on a coutume de décrire cet état comme « anobjectal » ou par les termes d’indifférenciation « Moi/non-Moi » ;
d’autre part, c’est le désir d’incorporer les objets, désir spécifique de l’oralité qui, malgré l’emploi du mot « objet », ne confère pas à celui-ci le véritable statut d’objet extérieur. Le petit enfant de cet âge ne perçoit dans les individus ou les choses qu’une nourriture ou une source de nourriture, à laquelle, dans ses fantasmes, il s’imagine uni en l’avalant ou en se l’incorporant. L’objet n’est guère qu’une partie du sujet, l’enfant porte à sa bouche tout ce qui l’intéresse et le plaisir « d’avoir » se confond, pour lui, avec le plaisir « d’être ».
Note Importante
Abraham divise cette période orale en deux sous-stades :
le stade oral primitif (de 0 à 6 mois) encore appelé « phase préambivalente ». C’est le véritable stade oral de Freud que celui-ci subdivise en « stade narcissique primaire » et en « stade anaclitique ». C’est celui que nous venons de décrire. Redisons ses principales caractéristiques :
le stade oral tardif (de 6 à 12 mois) ou stade sadique-oral, au cours duquel prédominent les pulsions que Freud a pu appeler « cannibaliques » est marqué par l’apparition des dents, la morsure et les mordillements des objets, sein maternel d’abord, complétant alors la simple succion du sous-stade précédent. À cette époque, que l’enfant réponde à une frustration en mordant pour prendre sa revanche ou qu’il exprime en mordant une pulsion agressive en soi, le résultat est le même : l’incorporation, toujours en jeu, est devenue sadique, c’est-à-dire destructrice ; l’objet incorporé est vécu dans les fantasmes de l’enfant comme attaqué, mutilé, absorbé et rejeté dans le sens de la destruction.
Relation d’objet
Le premier objet de chaque individu est sa mère
la notion même « d’objet » fait ici problème, car on sait que, tout au début, il n’existe pas d’images d’objets au sens psychologique de ce terme, les premières représentations d’objets étant éparpillées, plus ou moins morcelées et en tout cas parcellaires et non unifiées. Par ailleurs le nouveau-né n’a pas conscience du monde extérieur mais uniquement – si tant est même que l’on puisse parler ici de « conscience » – de ses propres perceptions internes de tension et de détente : il ne distingue pas lui-même des autres. Il s’ensuit que le nourrisson est aux prises avec des « morceaux d’objets » – des objets partiels, dit-on, et même pas localisés dans l’espace – dont font partie à la fois des morceaux de mère (sein nourricier ou biberon substitutif) et des morceaux du corps propre du sujet ;
cela étant, la relation de notre nourrisson avec ces morceaux d’objets s’établit dans deux directions :
La découverte réelle des objets
Elle se fait cependant peu à peu et par un processus graduel.
D’abord on admet qu’une relation objectale dite primitive se constitue lors des moments d’absence de l’objet anaclitique (c’est-à-dire de la mère). Autrement dit, la première prise de conscience d’un objet doit provenir chez l’enfant de l’état d’attente nostalgique de quelque chose qui lui est familier, qui peut satisfaire ses besoins… mais qui sur le moment fait défaut (Fénichel).
Par la suite l’enfant apprend à différencier ses impressions et la première différenciation est sans doute celle qui s’établit entre des objets « de confiance ou connus » et des objets « inhabituels, étranges, et même étrangers ». Ceux-ci sont alors ressentis comme dangereux tandis que les premiers donnent confiance et sont aimés.
Au fur et à mesure que l’enfant apprend à se distinguer de sa mère, il commence à communiquer avec elle, à comprendre ce qu’elle lui transmet, ne serait-ce qu’à travers sa mimique. Un rôle important est sans doute joué là par les réactions au contact, à la pression physique, bref à la manipulation corporelle réelle de l’enfant par sa mère.
La relation ambivalente est contemporaine, selon la théorie orthodoxe, de la seconde partie du stade oral, lors de l’apparition des pulsions sadiques. Ainsi à la période où est en jeu la tendance à mordre, le désir de détruire la mère s’associe à l’aspiration à l’union libidinale avec elle. Premier conflit par conséquent, qui menace l’unité primitive rassurante à la mère et où la composante hostile prend une place prépondérante.
On dit parfois que la haine est plus vieille que l’amour, et nous connaissons l’évolution des idées de Freud sur la pulsion agressive (partie de l’instinct de mort). En tout cas c’est spécifiquement la projection à l’extérieur du « mauvais » – à quoi se joint évidemment la colère qu’induit l’absence de l’objet anaclitique – qui fait que l’objet (extérieur) est affecté de haine. On comprend que Freud ait pu dire : « l’objet naît dans la haine ».
Sevrage
C’est le conflit relationnel spécifique qui s’attache à la résolution du stade oral. Cette crise, liée à l’ablactation, peut sembler à première vue se fonder sur une donnée biologique, et donc instinctuelle, de l’espèce. En fait, le sevrage est indissociable du maternage dont Lacan a souligné la dimension culturelle.
Par ailleurs, le sevrage est souvent un traumatisme au sens courant et restrictif où il est vécu comme une conséquence de l’agression, comme une punition « talionique » sur le mode de la frustration. Et l’on a pu remarquer par exemple que chez les gens élevés très tard au sein existe souvent une difficulté à jouir complètement de leur faculté d’agressivité sans provoquer un besoin d’autopunition.
Stade anal
Développement psychosexuel
Objet de la pulsion anale
Il est de description plus malaisée du fait de la complexité croissante du jeu pulsionnel.
La mère, qui reste l’objet privilégié des pulsions de l’enfant, est devenue personne entière. Mais c’est un objet qui reste fonctionnel, partiel, qu’il sera surtout question pour l’enfant de manipuler, comme il « manipule » ses matières fécales. Rappelons que Freud a découvert l’importance de cette « analité » par l’analyse de la névrose obsessionnelle où précisément la « manipulation » des objets – réels, imaginaires et symboliques – est une des caractéristiques remarquables.
c’est d’abord un excitant direct de l’érogénéité de la zone corporelle muqueuse décrite ci-dessus. À ce sujet il existe une controverse parallèle à celle que nous avons démarquée à propos du stade oral : le plaisir anal est-il primairement physiologique, ou bien peut-on mieux l’expliquer comme une pulsion secondaire acquise par l’apprentissage ?
le boudin fécal est aussi considéré par l’enfant comme une partie de son propre corps qu’il peut – nous ne dirons pas « à volonté » mais par une décision volontaire permettant au moins de différer l’exonération – soit conserver à l’intérieur, soit expulser au dehors en s’en séparant, ce qui permet à l’enfant de faire la distinction fort importante entre objet interne et objet externe ;
si la peur d’être mangé constituait l’angoisse orale spécifique, celle d’être brutalement dépossédé du contenu du corps par arrachement, d’être vidé littéralement, représente l’angoisse anale typique ;
enfin, le boudin fécal représente pour l’enfant une monnaie d’échange entre lui-même et les adultes. Rappelons les équivalences établies par Freud entre les fèces, le cadeau qu’on offre ou qu’on refuse, l’argent, etc.
But pulsionnel
K. Abraham a décrit là encore deux sous-stades.
Phase dite « expulsive »
Le but est donc ici de ressentir des sensations agréables pendant l’excrétion. Parallèlement à une décharge de la tension, l’élimination produit une stimulation de la muqueuse ano-rectale, stimulation génératrice d’un plaisir érotique comparable à celui de la succion pendant le stade oral, plaisir auto-érotique évident.
Retenons de cette première phase anale :
l’ auto-érotisme narcissique qu’elle comporte toujours ;
son aspect sadique, lequel du reste caractérise la totalité du stade anal au point que l’on désigne habituellement ce stade par le qualificatif « sadique-anal ». Cet aspect sadique dérive ici d’une double source :
Phase rétentive
C’est la seconde phase. Le plaisir principal se porte sur la rétention et nous allons retrouver ici les mêmes origines à ce plaisir, simplement utilisées de manière différente.
C’est d’abord bien entendu la découverte faite par l’enfant de la stimulation intense de la muqueuse que peut, à côté de l’expulsion, provoquer aussi la rétention. On a dit qu’il s’agissait là de la première découverte du plaisir auto-érotique masochique, qui est une des composantes normales de la sexualité. Le terme « masochique » peut être entendu ici comme de l’ordre du « fais moi quelque chose », et il est clair que le boudin fécal ne progresse pas jusqu’à l’ampoule rectale sous l’effet d’un acte volontaire, cette progression donnant d’abord des sensations éprouvées passivement. Ce n’est que dans un deuxième temps que le plaisir attaché à l’acte rétentionnel devient l’objet d’une recherche active.
Un autre déterminant à l’apparition de ce plaisir est là encore constitué par la grande importance que les adultes accordent aux selles. Si les autres considèrent ces produits comme précieux, alors l’enfant préfère les garder pour lui plutôt que les donner. Et c’est ici que l’élément sadique apparaît de nouveau dans le tableau, l’enfant pouvant :
Relation d’objet
Sadisme
Les composantes érotiques et agressives de l’analité se retrouvent dans les deux phases décrites par Abraham, tout comme dans la bipolarité de la pulsion sadique elle-même, l’une des tendances étant de détruire l’objet extérieur, l’autre de le conserver et d’exercer sur lui un contrôle, tendances qui sont toutes deux gratifiantes.
La conquête de la discipline sphinctérienne permet à l’enfant de découvrir la notion de sa propriété privée (ses selles qu’il donne ou non) de son pouvoir (pouvoir auto-érotique sur son transit intestinal et sur son corps propre ; pouvoir affectif sur sa mère qu’il peut récompenser ou frustrer à son tour), découverte qui va de pair tant avec le sentiment de toute-puissance et de surestimation narcissique ressenti par le sujet qu’avec le plaisir qu’il éprouve de contrôler, maîtriser, en s’opposant à sa mère, bref de posséder. Tout objet de son désir est quelque chose à l’égard de quoi il exerce des droits et tout objet est assimilable à sa possession la plus primitive, c’est-à-dire ses matières fécales.
« Bi- » et « homosexualité »1 – Activité et passivité – Narcissisme anal
La « bisexualité » humaine, comme l’appelait Freud après l’avoir mise en évidence, tirerait ses racines psychologiques aussi bien que physiologiques précisément et surtout de cette phase anale du développement. Le rapport de l’érotisme anal avec la « bisexualité » serait en effet déterminé essentiellement par le fait que le rectum apparaît comme un organe d’excrétion creux :
L’opposition du couple activité-passivité qui marque profondément les relations objectales propres à cette phase, où il n’est pas encore question pour l’enfant de l’opposition masculinité-féminité au sens sexué de ces termes. C’est sur le modèle de ce schéma dualiste actif-passif dérivé de l’investissement anal, que l’enfant est sensibilisé, dans sa relation à autrui, à la perception de toute une série de couples antagonistes : couple gentil-méchant ; beau-laid ; mais surtout couple grand-petit tout à fait spécifique. Face à l’adulte, l’enfant se sentira soit le plus petit, soit le plus grand et le plus fort pour peu qu’il s’imagine lion, tigre ou chef d’armée. Le summum de la relation valorisée d’amour est donc impliqué dans le couple subjuguer-être subjugué, dominer-être dominé ;
Le narcissisme est donc ici au tout premier plan et nous avons pu relever quelques-unes des occasions qu’a l’enfant de le mettre en question : qualité de partie du corps attribuée au boudin fécal, conquête de l’indépendance notamment par la marche et le contrôle sphinctérien, possibilités d’opposition et de marchandage face à l’objet maternel, sentiment de toute-puissance et auto-surestimation, etc. Il faut, en outre, insister sur le caractère centripète, donc narcissique, des buts érotiques2, encore une fois dominés par l’auto-érotisme à cette époque.
Si l’on rapproche donc en résumé :
l’opposition activité-passivité ;
l’aspect duel, binaire, d’une relation d’objet excluant toute génitalisation véritable ;
le renforcement narcissique du sentiment de puissance à quoi est subordonnée la recherche de complémentation entre un grand et un petit (il faut que l’objet soit très faible ou très fort, le sujet se complaisant dans le rôle inverse et dépendant) ;
l’aspect centripète enfin, et donc narcissique, des buts érotiques ;
on comprendra que la relation d’objet ainsi caractérisée soit de type homoérotique, quel que soit le sexe réel de l’objet, la caractéristique génitale de celui-ci étant, pourrait-on dire, accessoire.
« Stade » phallique
Aboutissement, au-delà de la troisième année, des stades précédents par abandon ou solution de leurs conflits affectifs propres, le « stade » phallique, ainsi nommé et décrit par Freud, instaure une relative unification des pulsions partielles.
Développement psychosexuel
L’érotisme urétral
D’abord auto-érotique, le plaisir à uriner se tourne par la suite vers des objets (fantasmes d’uriner sur les autres par exemple) tandis que l’ énurésie pourra, après l’auto-érotisme originel, acquérir la valeur d’un équivalent masturbatoire inconscient. Le plaisir à uriner aura en général un double caractère :
d’une part, et dans les deux sexes, une signification phallique, voire sadique, la miction étant l’équivalent d’une pénétration active, liée à des fantasmes d’endommager ou de détruire ;
d’autre part, il peut être ressenti comme un « laisser-couler », un plaisir passif de reddition et d’abandon des contrôles ;
chez les garçons, le « laisser-couler » passif peut se condenser avec d’autres buts passifs comme d’avoir la verge caressée ou de recevoir des excitations au périnée (prostate). Ces mêmes buts passifs de l’érotisme urétral peuvent également se combiner avec des fantasmes plutôt sadiques comme le montre l’analyse de cas sévère d’ éjaculation précoce ;
chez les filles, la partie active sert plus tard à exprimer des conflits centrés le plus souvent sur l’envie du pénis. Quant à la signification passive du « laisser-couler » elle est ici souvent déplacée de l’urine aux larmes.
Quoi qu’il en soit, le contrôle du sphincter vésical entraîne une fierté narcissique qui serait due au fait que les parents font honte à l’enfant lors des échecs dans ce contrôle. D’autres pensent que la plus grande fréquence de la miction (par rapport à l’exonération anale) entraîne des récompenses également plus fréquentes, renforçant le sentiment de fierté. Mais si la honte reste pour Fénichel la force spécifique dirigée contre les tentations érotiques-urétrales, l’ambition serait le représentant spécifique de la lutte contre ce sentiment de honte.
Masturbation infantile
Dès la phase orale, on assiste chez le nourrisson à l’éveil de manifestations érotiques spécifiques au niveau des organes génitaux eux-mêmes. Le déterminant occasionnel en est peut-être, outre les soins de toilette, l’excitation naturelle de la miction. À cette époque, les jeux manuels des enfants représentent ce qu’on appelle la masturbation primaire. À partir du moment où est en jeu la discipline du sphincter vésical, le plaisir hédonique étayé sur la miction va s’en dissocier pour chercher à se reproduire en soi, de manière répétitive. Et c’est ce qu’on désigne par l’expression de « masturbation secondaire ».
Primaire ou secondaire, cette masturbation infantile précoce est souvent niée par les adultes, en fonction sans doute de leur propre Surmoi. Elle laisse cependant des traces profondes et inconscientes dans la mémoire et semble représenter une des causes principales de la fameuse amnésie infantile, laquelle est notamment rattachée à l’activité, réprimée par les parents, mais surtout aux fantasmes érotiques propres à cet âge (fantasmes masturbatoires la plupart du temps d’essence œdipienne donc angoissants et culpabilisants).
Curiosité sexuelle infantile
La « découverte » de la différence anatomique entre les sexes est en fait une expression ambiguë. En effet il n’y a encore pour l’enfant qu’un seul sexe, celui qui est représenté par les êtres pourvus d’un pénis. Que ce soit par la masturbation, que ce soit au cours de ses investigations, l’enfant va petit à petit prendre conscience de la réalité anatomique du pénis ; et commencer à se poser des questions sur l’existence ou la non-existence de cet attribut corporel chez lui ou chez les autres. Dans le même temps, vont se poser d’autres énigmes : origine des enfants, procréation, grossesse…
La scène primitive. Il faut entendre ici la scène ou les scènes au cours desquelles l’enfant a été – ou fantasmé être – le témoin du coït des parents. Cette scène primitive, ou encore scène originaire, fait partie selon Freud qui n’a pas d’emblée retenu ce point de vue, des fantasmes dits primitifs ou originaires, que la psychanalyse retrouve comme informant toute la vie fantasmatique, quelles que soient les expériences réelles des sujets (séduction, castration, abandon, etc.). Les mécanismes en cause ne sont pas simples ni univoques. Interviennent notamment :
La scoptophilie ou voyeurisme. On peut rapprocher de la « scène primitive » cet instinct partiel (instinct devant concourir chez l’adulte au plaisir préliminaire mais qui, chez l’enfant, demande à être satisfait pour son propre compte) qui est en fait souvent plus auditif qu’étroitement visuel. Par sublimation, il pourra plus tard donner lieu à l’épistémophilie, d’où naissent les chercheurs ou curieux de tous ordres.
Théories sexuelles infantiles
À défaut de recevoir – ou de pouvoir intégrer – des réponses satisfaisantes à ses interrogations, l’enfant interprète les faits à sa façon, en fonction de son vécu libidinal, toute découverte étant subordonnée aux forces pulsionnelles dont il dispose progressivement. Ce sont notamment :
les théories infantiles de la fécondation :