1 Anesthésie locale
L’administration d’anesthésiques locaux est indiquée pour diminuer la douleur après un traumatisme ou lors d’une procédure douloureuse. L’anesthésie locale est de ce fait utile dans de nombreuses situations cliniques pour améliorer le confort du malade et faciliter sa coopération durant des procédures douloureuses. Le succès de l’utilisation des anesthésiques locaux est optimisé par une bonne connaissance de leur pharmacocinétique, de leurs indications ainsi que des techniques d’administration les moins douloureuses possibles.
Pharmacologie
Les anesthésiques locaux bloquent de manière réversible la conduction nerveuse en bloquant en position ouverte les canaux sodiques voltage-dépendants (et probablement aussi en interférant avec les canaux calciques), entraînant une inhibition du potentiel d’action. Ils possèdent également une activité anti-inflammatoire par l’intermédiaire d’une interaction avec les récepteurs de la protéine G.
Le délai d’action dépend de la molécule et de la dose d’anesthésique local utilisée. Plus la molécule est liposoluble, plus sa puissance et sa durée d’action sont importantes. De la même manière, plus la molécule est petite, plus la dissociation avec le récepteur est rapide et plus sa durée d’action est courte. Tous les anesthésiques locaux, hormis la cocaïne, sont vasodilatateurs, ce qui contribue à augmenter leur clairance. L’adjonction d’adrénaline, dans des proportions allant de 1/80 000 à 1/400 000, prolonge la durée d’action des anesthésiques locaux en entraînant une vasoconstriction. Cette augmentation de la durée d’action des anesthésiques locaux par l’adrénaline est plus importante en association avec les anesthésiques d’action courte qu’avec les anesthésiques d’action longue. Il est traditionnellement contre-indiqué d’utiliser l’adrénaline dans les régions anatomiques ayant une faible vascularisation (doigts, orteils, pénis, nez et oreilles), bien qu’il n’existe aucune preuve que l’ajout d’adrénaline soit préjudiciable. Une vasoconstriction trop intense entraînera une baisse locale du pH du liquide interstitiel, avec pour conséquence une diminution de l’activité de l’anesthésique local. Il est donc important de ne pas utiliser des concentrations d’adrénaline supérieures à 1/80 000.
De nombreux anesthésiques locaux sont disponibles en pratique clinique (tableau 1.1). Aux urgences, les plus couramment utilisés sont la lidocaïne et la bupivacaïne, pour la réalisation de gestes mineurs (drainages d’abcès, etc.). Leurs modalités d’administration comprennent l’application topique, l’infiltration locale, les blocs nerveux et les blocs périphériques. La lidocaïne est la molécule la plus utilisée en raison de son faible coût et de ses diverses présentations (1 %, 2 %, ampoules de 5 ml, 20 ml, et 1,8 ml pour les dentistes). Il existe des préparations spécifiques pour usage sous-cutané. Seules les préparations pour injections intraveineuses doivent être utilisées pour les anesthésies locorégionales intraveineuses et les blocs du foyer de fracture. Les mélanges adrénalinés à 1/80 000 (dans les kits dentaires, par exemple) permettent une vasoconstriction cutanée optimale et une durée d’action suffisante dans la plupart des situations. Si on ne dispose pas de solution préparée, l’addition de 0,1 ml d’adrénaline 1/1000 dans 10 ml de lidocaïne procure une solution à 1/100 000. La bupivacaïne et la ropivacaïne possèdent une durée d’action beaucoup plus longue et est donc utilisable dans toutes les situations complexes qui nécessitent du temps et/ou une analgésie de longue durée après la procédure. Ces molécules de longue durée d’action sont particulièrement indiquées aux urgences en cas de surcharge de travail car, en cas d’attente, cela évite de réinjecter. Pour ces raisons, beaucoup de praticiens préfèrent la bupivacaïne et la ropivacaïne à la lidocaïne. On peut utiliser un mélange de lidocaïne et de bupivacaïne pour combiner une action rapide et une durée plus longue, afin d’augmenter le volume injecté pour l’anesthésie régionale. Des études ont montré que la bupivacaïne est sous-utilisée aux urgences, surtout par méconnaissance, ou bien parce que les médecins ont des conceptions erronées sur son mode d’action ou sa sécurité. C’est un excellent anesthésique local pour les urgences !
Effets indésirables
Une hypersensibilité vraie aux anesthésiques locaux est rare et se rencontre le plus souvent avec les dérivés esters (par exemple procaïne, cocaïne, tétracaïne, benzocaïne). Les réactions allergiques sont encore plus rares avec les amides (par exemple lidocaïne, bupivacaïne, mépivacaïne, ropivacaïne). Il n’existe aucune réaction croisée entre esters et amides. Il existe une manière simple de distinguer ester et amide par le nom ; en effet, les amides possèdent tous un « i » dans le préfixe, alors que les esters n’en possèdent pas (par exemple lidocaïne versus procaïne). Si le patient est allergique à un agent particulier appartenant à une des deux classes, il est possible d’utiliser en toute sécurité un agent de l’autre classe.
La toxicité des anesthésiques locaux est essentiellement neurologique (système nerveux central) et cardiovasculaire et elle est dose-dépendante. Les recommandations font état d’une dose maximale à ne pas dépasser, qui peut varier selon les produits (tableau 1.1).
Diminuer la douleur au site d’injection de l’anesthésique local
Il est très important d’effectuer l’injection d’anesthésique local de la manière la moins traumatisante (physiquement et psychologiquement) possible, en particulier chez l’enfant. La douleur provoquée par l’injection est accrue par l’anxiété et l’appréhension du patient, et il convient de s’en préoccuper avec autant de soin que la douleur physique. La douleur engendrée par l’injection elle-même et l’irritation due au produit peuvent être diminuées de la façon suivante.
Expliquer la procédure pour diminuer l’anxiété.
Distraire les enfants (musique, télévision, jouets, etc.).
Un bonbon peut faire la différence.
Presser ou frotter la peau près du point d’injection.
Les produits d’acupuncture (par exemple Bionix Shot Blocker®) peuvent diminuer la sensation douloureuse due à l’aiguille.
Inonder la plaie d’anesthésique local ou utiliser un anesthésique topique avant l’injection. Appliquer lidocaïne ou tétracaïne sur les muqueuses avant injection.
Injecter lentement (une injection lente sur 10 secondes est bien moins douloureuse qu’une injection sur 2 secondes).
Éviter l’injection intradermique, plus douloureuse que l’injection sous-cutanée.
Éviter d’injecter un anesthésique trop froid.
L’alcalinisation de la lidocaïne par adjonction de 1 ml de bicarbonate pour 10 ml de lidocaïne à 1 % diminue la douleur à l’injection et augmente la durée d’action (augmentation de la liposolubilité, diminution de la vasodilatation et de l’élimination).
Utiliser une aiguille longue pour faire le moins de ponctions possible, ainsi que le plus petit diamètre possible. Utiliser une seringue adaptée au volume et à la vitesse d’injection.
Privilégier l’anesthésie tronculaire, qui est plus efficace et moins douloureuse qu’une infiltration locale (par exemple bloc mentonnier pour une réparation d’une lèvre inférieure).
Attendre le délai d’installation avant d’inciser ; il peut s’agir de 5 à 10 minutes pour une infiltration, de 20 à 30 minutes pour un bloc tronculaire.