1: Analyse du mouvement dans un contexte clinique

1


Analyse du mouvement dans un contexte clinique





image La compréhension du mouvement humain normal et pathologique est un sujet complexe qui fascine et qui demeure un enjeu majeur pour la santé.


image Notre vie est établie autour du mouvement. Nous réalisons chaque jour autour de 10 000 pas et 60 levers de chaise. La réalisation de ces mouvements permet de garder l’indépendance et une bonne qualité de vie.


image La vitesse de marche est même considérée comme un signe vital.


image Le mouvement nécessite l’intégrité du système neuro-musculo-squelettique (figure 1.1). En effet, les systèmes proprioceptif, visuel, vestibulaire donnent les informations nécessaires aux systèmes nerveux central et périphérique qui transmettent la commande aux muscles lesquels vont s’activer pour déplacer les segments autour des articulations afin de créer un mouvement. Étant donné le nombre de systèmes impliqués dans la réalisation du mouvement, la compréhension fine de ce dernier est complexe.



image Si un élément de ces systèmes est altéré, le mouvement souhaité ne pourra pas être effectué ou sera effectué avec difficulté et/ou avec douleur. Selon l’atteinte, le rôle du clinicien sera alors de permettre, de restaurer ou de sauvegarder un mouvement efficient et sans douleur. Avant d’établir la stratégie thérapeutique, le clinicien devra comprendre l’origine des troubles du mouvement. Devant la complexité du mouvement et de ses troubles, il pourra faire appel à un modèle « intégratif » comme la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) qui permettra de définir les différents éléments altérés du mouvement et ainsi aider à comprendre les troubles du mouvement et le handicap créé par ses troubles (figure 1.2).



image Une partie de l’examen clinique en orthopédie consiste à évaluer le mouvement du patient et ses troubles éventuels lors de la marche ou d’autres activités de la vie quotidienne.


image Le mouvement peut être analysé de différentes manières, à l’œil nu ou à l’aide de divers instruments de mesures plus au moins précis. Si en clinique il existe un consensus sur la nécessité d’analyser le mouvement, la manière dont il va être enregistré dépendra de divers facteurs : de l’instrumentation, de la précision de la mesure, du temps disponible, des moyens à disposition, de l’expertise du clinicien ou de l’équipe thérapeutique et enfin des possibilités du patient.


De nombreux outils permettent de définir les problèmes au niveau des structures (évaluation clinique, imagerie, etc.). Cependant, pour comprendre les troubles du mouvement, l’aspect statique de ces structures n’est pas suffisant, il est nécessaire de considérer leurs aspects dynamiques. Il faudra tout d’abord caractériser du mieux possible les troubles observés.



image L’œil est le premier outil utilisé par l’homme pour identifier ces troubles. Il est cependant limité dans la vitesse de traitement (perception inférieure à 10 Hz), la mémorisation et dans la possibilité d’observer plusieurs articulations et plusieurs plans (sagittal, frontal, transversal) en même temps.


image L’enregistrement vidéo permet de pallier certaines de ces limitations et offre la possibilité de revoir le mouvement autant de fois que l’on souhaite à une vitesse de lecture choisie (ralentie).


image L’œil ou la vidéo vont également permettre aux cliniciens d’obtenir les informations nécessaires pour remplir des échelles/questionnaires qui guideront leurs analyses.


image La mesure précise du mouvement nécessite des outils de quantification qui peuvent être classés selon le type d’élément évalué : les événements temporels et/ou spatiaux du mouvement, le mouvement lui-même, les forces mises en jeu, l’activité musculaire, la dépense énergétique ou encore l’activité physique globale (figure 1.3).



image Les événements temporels et/ou spatiaux du mouvement appelés paramètres spatio-temporels correspondent aux variables en lien avec la distance et le temps nécessaires pour réaliser un mouvement ou une tâche motrice. Les outils de mesure vont du simple chronomètre jusqu’au tapis instrumenté.


image Le mouvement segmentaire ou articulaire est généralement mesuré à partir de systèmes d’analyse du mouvement où des marqueurs sont positionnés sur des repères anatomiques spécifiques.


image Le mouvement peut également être quantifié par des goniomètres ou des capteurs inertiels, notamment lorsqu’une mesure ambulatoire (hors du laboratoire) est privilégiée.


image Les forces et moments articulaires, qui sont à l’origine du mouvement, sont quantifiés à partir de plateformes de force ou de dynamomètres.


image L’activité musculaire qui déclenche la contraction musculaire nécessaire au mouvement est mesurée par électromyographie (de surface ou interne).


image Il est également possible de mesurer d’autres éléments plus globaux comme la dépense énergétique ou l’activité physique d’une personne à partir d’outils spécifiques.


Ces différents outils de mesure permettent d’obtenir une grande quantité de données pour caractériser précisément le mouvement étudié. La mise en relation de ces données entre elles et avec d’autres données médicales (anamnèse du patient, examen clinique, imagerie) permettra de mieux comprendre le mouvement observé. Dans un contexte clinique, cette exploration fine du mouvement permet d’identifier et de comprendre les altérations et mène à une optimisation de la prise en charge thérapeutique.


Les sections suivantes présenteront les différents outils et données disponibles pour analyser le mouvement humain. Une emphase particulière sera mise sur l’analyse de la marche qui, pour l’instant, est le seul examen du mouvement standardisé et reconnu par les tutelles de santé. Au terme de ce chapitre, le lecteur sera convaincu que l’analyse quantifiée du mouvement doit être intégrée dans le processus de prise en charge du patient ayant des troubles du mouvement.



Observation du mouvement



Outils subjectifs




image Les outils subjectifs normalement composés de questionnaires, d’échelles de cotation visuelle ou d’entretiens sont très répandus en clinique, principalement grâce à leur facilité d’application.


image Ces outils permettent entre autres d’estimer le ressenti des patients sur, par exemple, leur confort, leur douleur, ou leur fonctionnalité.


image Ces outils peuvent être spécifiques à une pathologie, à une tâche (la marche) ou encore à une fonction.


image Il existe un nombre très important d’échelles synthétisées dans la littérature. Les cliniciens doivent utiliser des questionnaires et échelles validés dans la langue d’usage afin d’assurer la bonne compréhension de l’instrument utilisé.


image Le questionnaire de qualité de vie, l’échelle visuelle analogique (EVA) de la douleur et le Western Ontario and McMaster universities arthritis index (WOMAC) en sont quelques exemples.



Analyse vidéo




image L’analyse vidéo est devenue pratiquement indispensable pour l’évaluation du mouvement dans le domaine clinique. Contrairement à l’œil nu et aux questionnaires, l’analyse vidéo permet de fixer un repère visuel du mouvement à un moment donné. L’enregistrement vidéo est un élément de comparaison au cours du temps qui permet d’apprécier l’évolution des anomalies ou encore l’effet d’une thérapie.


image L’analyse vidéo du mouvement nécessite cependant quelques attentions, principalement en ce qui concerne la standardisation des prises de vues lors des enregistrements. Les caméras peuvent par exemple être fixées sur des trépieds dans un espace prédéfini pour évaluer la station debout ou la marche dans le plan sagittal (côté droit/atteint et gauche/sain) et frontal (face et dos) permettant d’éviter des prises de vues incorrectes (exemple : faux profils). À l’aide des systèmes de zoom disponibles, il est possible de cibler une articulation spécifique lors du mouvement.


image De nos jours, plusieurs caméras permettent d’enregistrer des vidéos à différentes fréquences d’acquisition (de 24 à plus de 1 000 images par seconde) facilitant l’analyse de mouvements rapides (course, saut) ou l’analyse d’événements précis comme lors de l’attaque du pas pendant la marche.


image L’enregistrement vidéo permet de visionner un nombre illimité de fois le mouvement étudié et permet également des arrêts sur image, des ralentis, facilitant son analyse. Par exemple, il est possible lors de la marche d’avoir une appréciation dans le plan sagittal de : la longueur du pas, l’inclinaison du bassin, la flexion et l’extension de la hanche, du genou et de la cheville. Dans le plan frontal, il est aussi possible d’observer l’angle de progression du pas.


image Si la zone d’enregistrement a été standardisée, il est facile de déterminer quelques angles articulaires à l’aide de logiciels spécifiques de traitement d’images (figure 1.4A) ou la superposition du même mouvement lors de différentes visites (figure 1.4B). Par ailleurs, l’estimation de ces angles permet d’avoir une meilleure reproductibilité interobservateur qu’avec l’utilisation des seules vidéos.



image Pour conclure sur l’observation du mouvement, la vidéo a un rôle majeur pour l’analyse du mouvement dans le domaine clinique. L’appréciation du mouvement reste toutefois subjective malgré la possibilité de quantifier la vitesse le long d’un parcours, de compter le nombre de pas manuellement ou de mesurer les angles articulaires pour quelques images. Afin d’approfondir l’analyse du mouvement en choisissant des mesures objectives, il est nécessaire de recourir à d’autres procédés et instruments capables de quantifier les paramètres spatio-temporels du mouvement.



Paramètres spatio-temporels




image Le mouvement quel qu’il soit peut être décomposé en plusieurs événements, phases et périodes permettant de mieux le caractériser.


image Les paramètres spatio-temporels sont des indicateurs globaux sur l’organisation du mouvement dans l’espace et dans le temps. Les paramètres et exemples qui vont suivre concernent plus particulièrement la marche, mais ils pourraient être utilisés pour d’autres mouvements.


image La vitesse de marche (ou d’exécution d’un mouvement) est sans doute le paramètre le plus connu. La vitesse est calculée en divisant la distance par le temps.


image Chaque personne possède une vitesse de marche propre appelée vitesse de marche spontanée. La vitesse de marche est un paramètre d’autant plus important que quelques auteurs proposent de l’élever au rang des signes vitaux comme la fréquence cardiaque ou la pression artérielle.


image La vitesse de marche est le produit de deux autres paramètres nommés cadence et longueur du pas ou de la foulée1.


image La cadence de marche correspond au nombre de pas réalisés par minute.


image La longueur du pas correspond à la distance parcourue lors d’un pas. Normalement, elle est exprimée en mètre. La longueur du pas est surtout liée à la taille de la jambe. Les personnes avec des longues jambes ont des valeurs de longueur du pas plus grandes.


image Ainsi la vitesse, la cadence et la longueur du pas peuvent constamment s’ajuster afin de s’adapter aux contraintes de l’environnement (ex : tourner, éviter des obstacles, monter des escaliers, traverser un passage piéton).


image Il n’existe pas de grandes variations sur les valeurs normatives de la vitesse de marche, de la cadence et de la longueur du pas. La mesure de ces paramètres peut être influencée par le type d’instrument, la longueur et la largeur de la zone où le patient marche et le contexte d’évaluation (mesures prises à l’intérieur ou à l’extérieur). Kirtley a proposé des valeurs normatives pour les hommes et les femmes qui ont été enregistrées dans un couloir de marche de 5 m de long (tableau 1.1) [5].



image Il est évident que la plupart des problèmes locomoteurs ont pour conséquence une altération de la vitesse de marche, de la cadence et de la longueur du pas [5].


image Plusieurs problèmes de marche sont associés à une diminution de la longueur du pas (tableau 1.2). Afin de conserver une vitesse de marche fonctionnelle, la cadence peut augmenter, comme par exemple chez les personnes atteintes de la maladie de Parkinson (marche festinante).



image Le cycle de marche correspond à la durée entre deux événements identiques qui surviennent lors la marche. Généralement, le cycle de marche commence à l’attaque du talon avec le sol. Il peut également être divisé en deux phases distinctes : phase d’appui et phase oscillante (figure 1.5).



image La phase d’appui correspond à environ 60–62 % du cycle de marche et la phase oscillante à environ 40–38 % du cycle de marche [8].


image La phase d’appui peut augmenter lors d’un problème lié à l’équilibre dû à des atteintes vestibulaires ou cérébelleuses [8].


image Par exemple, chez la personne amputée du membre inférieur unilatéral, la durée de la phase d’appui du côté prothétique est légèrement plus courte que celle du côté sain. Cela a pour conséquence d’induire une marche asymétrique. En effet, la personne compte davantage sur sa jambe saine pour compenser les déficiences locomotrices associées à la prothèse (instabilité, douleur) et donc conserver une vitesse de marche fonctionnelle.


image Ces périodes de décharge plus importantes du côté sain pourraient être la cause du développement de complications telles que l’arthrose de la hanche (coxarthrose).


image La manière la plus simple d’obtenir les paramètres spatio-temporels est l’utilisation d’un chronomètre permettant de mesurer le temps lors du parcours d’une distance connue. Dans ce cas de figure, en comptant attentivement le nombre de pas, il est également possible de connaître la longueur du pas.


image Grâce à divers outils, ces mesures peuvent être réalisées de manière automatique et plus fiable. Parmi eux, les plus connus sont les détecteurs de passage, les podomètres, les accéléromètres, les radars de vitesse, les systèmes de géolocalisation (GPS), les systèmes de footswitches et les tapis instrumentés (figure 1.6). Le tableau 1.3 présente un résumé comparatif des différents instruments.




Les paramètres spatio-temporels restent des indicateurs quantitatifs globaux de la réalisation du mouvement. Nous présentons maintenant les mesures réalisées au niveau des articulations lors de la réalisation d’une activité locomotrice.



Cinématique




image L’objectif de la cinématique est de décrire le mouvement linéaire et angulaire du corps humain sous diverses caractéristiques spatiales et temporelles.


image Cette science a grandement évolué depuis les dernières décennies et permet aujourd’hui une analyse répétable, valide et semi-automatique du corps humain en mouvement.


image La cinématique ne tient pas compte des forces internes et externes qui induisent le mouvement. Ces dernières sont traitées dans les paragraphes portant sur la cinétique et la dynamique du corps humain (page 22). Les paramètres fondamentaux utilisés dans l’analyse de la cinématique sont les mouvements des segments et des articulations au cours du temps et leurs dérivées (vitesse et accélération).


image La notion de temps permet de déterminer l’instant précis durant lequel un événement aura lieu. Elle permet aussi de déterminer la durée ou l’intervalle de temps qui s’écoule entre deux événements distincts. L’unité de temps la plus généralement utilisée est la seconde (s).


image Afin de décrire un mouvement avec précision, par exemple celui de la marche, on fait appel à la notion d’instant(s) et de phase(s) durant lesquels le mouvement se produit. Ceci permet par exemple de situer de manière temporelle un déficit (figure 1.5).



Définitions




image La notion de position d’un objet, par exemple celle d’un segment, correspond à sa localisation dans l’espace à un instant « t » donné. Le déplacement de cet objet sera observé selon une trajectoire représentant l’ensemble des positions successives de ce dernier (figure 1.7). Le déplacement peut s’effectuer le long d’une droite (mouvement rectiligne), le long d’un arc de cercle (mouvement circulaire) ou selon une courbe quelconque (mouvement curviligne).


Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Jul 6, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 1: Analyse du mouvement dans un contexte clinique

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access